Vigilance Isère Antifasciste

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Contrôles au faciès : les noirs et les arabes contrôlés 7 fois plus souvent.

LE MONDE |11.04.2012 :

Contrôles au faciès : l'Etat assigné en justice

Lire aussi le point de vue de Didier Fassin "Les contrôles au faciès sont-ils condamnables ?"


Lyes, c'était à Vaulx-en-Velin, "le 27septembre 2011. Il faisait bon". Karim, "le 1er décembre", alors qu'il "était posé sur les marches de l'hôtel de ville à Besançon". Antony était là. "On parlait, on fumait des cigarettes, la routine." Trois CRS sont arrivés. "Contrôle d'identité", dit l'un. "Fermez vos gueules", lance un autre. "L'un des CRS a fouillé (...) Karim, qui était face au mur, et lui a dit: "T'es gros, va faire du sport."" Karim demande au "monsieur" de lui "parler correctement le français". Une gifle part. Clé dans le dos, plaquage contre le mur. Les lycéens conseillent à leur copain de porter plainte. "Quand ils [nous] ont entendu, (...) ils sont revenus le chercher pour [l'emmener] au poste." Le même jour, en début d'après-midi, Karim avait déjà été contrôlé "par une autre brigade".

 

Combien pour témoigner de pratiques similaires ? Le constat est connu. En France, lorsqu'on est noir ou arabe, on risque respectivement 6 et 7,8 fois plus de se faire contrôler par la police que lorsqu'on est blanc. L'enquête menée en 2009 par deux chercheurs du CNRS avait fait grand bruit. Elle venait confirmer de manière scientifique ce que les associations et collectifs de droits de l'homme dénoncent depuis des années: la police en France discrimine et contrôle à la tête du client. L'ONG anglo-saxonne Open Society Justice Initiative, qui finançait cette étude, espérait faire bouger les mentalités. Qu'on sorte du déni. Que les pratiques vexatoires cessent. En vain. L'étude fut abondamment reprise mais, depuis, rien. Les éducateurs, les élus, continuent de dénoncer, les pratiques demeurent.

 

10000 EUROS DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS DEMANDÉS

A onze jours de la présidentielle, l'ONG, soutenue par le milliardaire George Soros, tente, par une initiative inédite, de donner une nouvelle visibilité à son combat. Sur le fond, le discours ne change pas. Sur la forme, l'offensive monte d'un cran: la justice est saisie. Mercredi 11 avril, quinze personnes, conseillées par Mes Slim Ben Achour et Félix de Belloy, assignent le ministère de l'intérieur en justice et demandent à l'Etat 10000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Ils sont étudiant, expert-comptable en devenir, livreur, collaborateur d'élu, ouvrier dans le bâtiment. Né à Dole (Jura), grandi à Roubaix (Nord), employé à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ou Besançon (Doubs), âgés de 16 à 47 ans, leur seul point commun est d'être des hommes, noirs ou arabes, et d'avoir été victimes d'un "contrôle d'identité discriminatoire". Un contrôle au faciès, selon eux.

Convaincre des personnes de mener une action en justice contre l'Etat ne fut pas une mince affaire pour Open Society, qui entend "dénoncer une pratique institutionnelle, et non cibler les actes particuliers de tel policier ou tel ministre de l'intérieur", précise Lanna Hollo, sa représentante à Paris. L'ONG s'est appuyée sur les associations de terrain. A Lille, à Lyon, à Vaulx-en-Velin, des petites cartes sur lesquelles était inscrit un numéro de portable à appeler en cas de contrôle abusif ont été distribuées. Mais les visages sont restés sceptiques: "A quoi ça sert?", "Ça n'aboutira jamais." "Ces contrôles sont tellement répandus que beaucoup finissent par trouver ça normal. Et souvent, les personnes concernées n'ont déjà plus confiance en la justice", poursuit Lanna Hollo.

 

DES CONTRÔLES QUI ATTISENT LES TENSIONS AVEC LA POPULATION

En France, l'article 78-2 du code de procédure pénale liste les contrôles judiciaires, les contrôles administratifs et les contrôles "Schengen". La stratégie de Mes Ben Achour et de Belloy ne consiste pas à contester la légalité des contrôles subis par leurs clients, mais de dénoncer leur caractère discriminatoire. "A l'Etat maintenant de prouver le contraire et au juge de se prononcer sur le sujet", explique Me SlimBen Achour. Le ministère de l'intérieur, qui nie l'existence de tout contrôle au faciès, laisse "la justice dire s'il y a lieu de poursuivre et de s'exprimer sur le sujet". En mai2011, la Direction générale de la police nationale avait concédé au Monde que la police "n'était pas parfaite" et que, "sensible à cette question", elle "essayait de s'améliorer".

 

Le contrôle au faciès n'est pas un mal français. Ces pratiques existent ailleurs et de nombreux chercheurs, en Europe, aux Etats-Unis, ont prouvé qu'elles jouaient un rôle dans les tensions entre police et personnes issues de l'immigration. Le fameux "stop and search" britannique qui autorise la police à interpeller et à fouiller n'importe qui sur la voie publique, sans motivation précise est à l'origine des liens délétères entre les policiers et les communautés noires de Grande-Bretagne. Ces crispations ont été l'un des points de départ des émeutes de Londres en 2011.

Conscient de cette réalité, le Syndicat de la magistrature préconise qu'une attestation soit remise par le policier à chaque contrôle. "Elle aurait un effet dissuasif", assure Matthieu Bonduelle, président du syndicat. Il propose la suppression "des contrôles administratifs, ceux qui relèvent plus du contrôle social et de l'espace public et qui ne rentrent pas dans le cadre de l'enquête judiciaire". "A part intimider une catégorie de personnes, qu'a-t-on à y gagner?", interroge-t-il.

 

 

Contrôles au faciès : "Je suis black, ils n'en arrêtent qu'un, c'est moi"

  • Mounir, 20 ans, étudiant en école de commerce dans le Nord

Un après-midi d'octobre 2011, métro Croix-Mairie à Roubaix, aux environs de 16 heures. "J'étais avec un ami. On sort du métro, j'aperçois trois hommes, crâne rasé, derrière les portillons. L'un des policiers, en uniforme, me dit 'eh toi là-bas, viens ici, contrôle d'identité'." Mounir s'approche. "Contrôle d'identité, donne-moi ta carte", répète-t-il. Mounir n'a jamais sa carte d'identité sur lui, seulement sa carte bancaire et sa carte d'étudiant, qu'il présente.

L'échange est sec. Tu vas où ?, demande le policier. "A mon école." Et tu fais quoi comme études ?, "Une école de commerce." "Il m'a reposé la question. J'ai répété: 'Une école de commerce.'" Est-ce que tu as de la drogue sur toi ou des objets dangereux?, poursuit l'homme en uniforme. ""Non", je lui ai dit. Je lui ai présenté mon sac à dos pour qu'il vérifie. "C'est bon", m'a-t-il répondu. Il ne m'a pas fouillé, et m'a laissé partir."

Depuis ce jour, une seule question obsède Mounir : "Pourquoi moi ?" Pourquoi, alors qu'ils sont une dizaine à sortir du métro cet après-midi-là, le contrôle tombe sur lui. "Je suis black. Ils n'en arrêtent qu'un, c'est moi. C'est moi le suspect du wagon. Tous les autres sont blancs. Un black, un rebeu est forcément une personne malsaine, délinquante, quelqu'un qui a de la drogue ou une arme sur lui." Il n'y a pas eu de palpation mais ce contrôle, "choquant" pour Mounir, est venu s'ajouter à toutes ces vexations du quotidien qui font qu'il a parfois le sentiment d'être un citoyen de seconde zone. "Quand je demande mon chemin, les gens sont toujours sur leurs gardes. Quand je dis que je fais une école de commerce, ils ont l'air étonnés. J'ai tous les stéréotypes du mec qu'il faut éviter: black, jeune et... en plus j'habite Roubaix."

S'il n'a pas hésité à assigner le ministère de l'intérieur en justice, "c'est pour montrer qu'on n'est pas tous des délinquants". "Qu'il y a des personnes bien, victimes de préjugés, et qui ne veulent pas être mises à l'écart. C'est à nous de faire le premier pas, c'est comme ça."

  • Nadir, 20 ans, en licence d'expert-comptable à Lyon

C'était un samedi soir, le 1er octobre 2011. Nadir et Armel, "bien coiffés, prêts à aller en soirée", s'installent à la terrasse d'un McDo de Lyon. Il est 22 h 30. "J'avais mes mains sur la table, le téléphone [dans l'une] pour répondre aux messages", précise Nadir. Les deux copains se racontent leur journée. "J'ai entendu une voiture s'arrêter (...) derrière moi. J'ai su que c'était le camion de police car je l'ai vu plusieurs fois faire le tour par la ruelle." Les portières claquent. "Contrôle d'identité". "Pourquoi ?", demande Nadir. "Pour rien, c'est un contrôle banal !" "Avez-vous quelque chose d'illicite sur vous ?"

Les deux amis ne fument pas. "Faites pas semblant, on l'a vu le morceau de shit !" "On s'est mis debout (car c'est une habitude de se faire contrôler), raconte Nadir. On a sorti nos papiers et j'ai essayé de leur dire qu'ils s'étaient trompés." Armel est prié de lever les bras. "Le deuxième agent (...) a passé ses mains autour de lui (...), du torse jusqu'aux chevilles en passant par son fessier." "Les personnes qui étaient assises à table nous scrutaient (...). C'est vraiment très humiliant (...)". "Je me fais souvent contrôler, surtout lorsque je suis en centre-ville de Lyon", poursuit le jeune homme. "Certains mois (...), jusqu'à dix fois. On n'a jamais rien trouvé sur moi, je n'ai pas de casier. Je suis sérieux, je suis en licence d'expert-comptable et animateur à la radio."

  • Omar Mas-Capitolin, 40 ans, élu chargé de la jeunesse dans le 11e arrondissement à Paris

S'il se fait contrôler ? "Comment voulez-vous qu'il en soit autrement avec ma tête. Je suis black, j'ai des vanilles dans les cheveux, je ne fais pas mon âge et je n'ai pas le look d'élu." Certains mois, Omar Mas-Capitolin, conseiller municipal parisien, est arrêté "trois fois dans la même semaine". Il n'a pas présenté de recours contre l'Etat, mais, coordinateur d'une association à Belleville, il soutient l'action d'Open Society Justice Initiative. "Les policiers du 11e m'ont repéré mais la BAC (brigade anticriminalité), c'est différent. Quand je suis avec les jeunes, ils pensent que je suis un client." Ce que l'élu dénonce "c'est la manière dont se déroulent les contrôles et ce tutoiement systématique". Le dernier remonte à fin 2011. Rue Saint-Maur, en milieu d'après-midi. M. Capitolin traverse la rue, trois policiers en civil l'encadrent. "D'emblée, ils m'ont tutoyé. Je leur ai dit que s'ils voulaient instaurer le tutoiement, alors c'était dans les deux sens. "Quoi tu veux te la péter, tu veux la jouer ?", m'ont-ils répondu."

Omar Mas-Capitolin tait sa qualité d'élu, les questionne sur le motif du contrôle. "Mais on contrôle qui on veut. Et si tu continues, on va te coller un test d'alcoolémie, un test de cannabis et t'emmener au poste." Le ton monte quand il demande leur matricule, "qu'ils ne donnent jamais". "Le plus désagréable, c'est la palpation en pleine rue, contre un rideau de fer. C'est humiliant", poursuit Omar Mas-Capitolin. L'élu travaille auprès des adolescents du quartier de Belleville. "Ces contrôles ont une incidence sur la manière dont les jeunes se sentent citoyens de la République. Ils ont le sentiment d'être considérés comme des gens à part. Ce climat-là n'est pas tenable, on n'est pas dans une dynamique positive. Comment voulez-vous ensuite déconstruire le discours des extrémistes religieux qui disent à ces jeunes qu'ils ne seront jamais acceptés par la société ?"

  • Saïd Kebbouche, 53 ans, père de famille à Lyon

Saïd Kebbouche apporte au débat l'expérience et la mesure du père de famille. Lorsqu'il entend que "les contrôles au faciès se sont accentués avec Nicolas Sarkozy", lui rappelle que adolescent, à 14-15 ans, il se faisait déjà contrôler régulièrement. "Et souvent ils braquaient leur arme à feu pour nous demander nos cartes de résident", précise t-il. "Mais quand j'étais gamin, je trouvais ça normal, on était visible dans le paysage, on était étranger. La grande différence aujourd'hui c'est de voir nos jeunes subir les mêmes humiliations." M. Kebbouche a quatre enfants. Trois garçons et une fille, âgés de 9 à 23 ans. "Je l'avais accepté pour moi car je n'étais pas français à l'époque, mais les voir subir la même chose me renvoie à une situation d'échec. Les contrôles sont peut-être moins brutaux, mais la violence demeure. Le plaquage, la fouille au corps, c'est triste d'en être encore là."

Saïd Kebbouche a appris à ses fils - beaucoup plus souvent contrôlés que sa fille - à se tenir à carreau devant les policiers. "On voit bien que c'est la criminalisation des étrangers qui se cache derrière tout ça. On renvoie les jeunes à leur étrangeté, à leur couleur de peau alors qu'ils sont français, pleins d'envie, et qu'ils sont les premiers à se mobilier pour les Restos du cœur." A 53 ans, Saïd Kebbouche reconnaît recourir à "des procédures d'évitement". "Dans certains quartiers, il y a des chemins que je n'emprunte plus. Si en descendant du métro, j'aperçois la police, je change de sortie."




12/04/2012

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