Vigilance Isère Antifasciste

Vigilance Isère Antifasciste

"Face à ce que le Front national est en train de réussir, trois axes de combat", par Gilles Alfonsi

Un point de vue en apparence opposé, mais plutôt complémentaire à Michaël Lowy, Dix thèses sur l'extrême-droite en Europe "Ce serait une erreur de croire que le fascisme et l’anti-fascisme sont des phénomènes du passé"

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Sur le site Cerises (Communistes Unitaires), le 30 mai 2014, par Gilles Alfonsi

Face à ce que le Front national est en train de réussir...

 

 Démasquer le FN en dénonçant son idéologie raciste ne suffit pas. Il faut mieux comprendre sa stratégie et en avancer une autre.

 

Le FN réussit à s'adresser à toutes les classes sociales. Il agrège de fait une diversité de motivations qui, au lieu de s'opposer, se nourrissent et convergent. On trouve dans son électorat aussi bien des petits commerçants, habitués à exprimer par leur vote leur haine de l'impôt, que des ouvriers et des employés désireux de sanctionner l'austérité – telle ou telle motivation n’excluant pas les autres. Tous veulent penser mettre ainsi en cause le système, croyant que le FN serait hors système alors même qu'il est de longue date une des pièces d'un système politique qui l'a utilisé comme repoussoir de la République.  

 

FN sorcière  La Horde.jpgOn peut comprendre le travail idéologique réalisé par le FN en lisant les professions de foi lepénistes. On y trouve des idées de gauche, et même des idées du Front de gauche : « s’opposer à la politique d’austérité généralisée », « défendre nos services publics » ou encore « réindustrialiser notre pays »… et la mise en cause des traités européens et le rappel de la victoire du Non au référendum de 2005, jusqu’à la dénonciation du traité transatlantique. On y trouve des idées prises à l’écologie politique : « assurer la sécurité sanitaire et alimentaire », « respecter l’environnement » et même la référence au « bien être animal ». On y trouve des idées travaillées par une partie de la droite souverainiste : « protectionnisme intelligent », « patriotisme économique ». On y trouve les dimensions sociales et souverainistes associées : « relance de la croissance et de l’emploi en retrouvant une monnaie nationale au service de notre économie et non des banques ». Et on y trouve bien sûr le fond de commerce de l'extrême-droite, appauvri des expressions les plus ouvertement racistes et des aspects les plus scandaleux. Il prend cette forme : « maîtriser nos frontières afin de stopper une immigration anarchique », « défendre nos modes de vie » face au « magma européiste et multiculturel ». Bien sûr, la logique reste la même : existerait le risque d’une vague d’immigration dite de substitution au bon peuple de France, menaçant la sécurité et l’identité. Mais chaque formule, chaque mot est pesé, et l’ensemble est au total plus difficile à combattre car, comme l’écrit Roger Martelli, cela « développe un récit sur la France ».

 

Combattre autrement l’orientation nationale-raciste

Il est certes assez cocasse de constater ainsi que bien des idées précédemment citées ne sont que des copiés-collés des programmes des partis "du système" : n’y a-t-il pas là une contradiction, et une faiblesse potentielle du néo-lepénisme ? On peut pour le moment penser plutôt l’inverse : qu’il y a dans cette stratégie attrape-tout une force. De fait, le FN s'adresse directement à tous les électorats en même temps, c'est-à-dire qu'il ne se situe pas seulement, ni même principalement, dans une logique de récupération de l'électorat de droite radicalisé. Il radicalise d'ailleurs l'ensemble des idées qu’il affiche, car il tisse des liens entre la xénophobie et le social, contre toute visée d’émancipation.

 

Voilà donc un gros problème pour la gauche d'alternative : le FN siphonne une partie de ses thèmes de prédilection... et que l’on y voit une supercherie ne change rien à l’affaire. De fait, un raisonnement tient et tiendra de moins en moins : celui qui consiste à assimiler l'avancée du FN seulement a une victoire de l’approche national-raciste sur l’approche sociale qu'incarnerait le Front de gauche. On peut faire l'hypothèse que le FN version Marine Le Pen tente une synthèse (détestable), et qu'il ne s'agit pas seulement d'une stratégie de communication.

 

Dès lors, comment la gauche d'alternative peut-elle réagir ? Elle devrait bien sûr exclure de s’aligner sur le FN, comme le fait ouvertement l’ancien député André Gérin, dénonçant « l’establishement UMPS », soulignant « la perte de l’identité de la France » et la « dépossession culturelle et morale de la Nation française »… et affirmant que le FN « a obtenu le quasi monopole de la défense de la Nation française ». Reprendre ainsi les mots du FN (qui, au passage, emploie maintenant plus souvent le mot nation que le mot patrie), c’est assurément contribuer à renforcer son emprise idéologique.

 

Certes, on devrait tout à fait continuer à dénoncer les contradictions du FN, dont les élus n'hésitent pas à voter contre des mesures sociales, et qui se placent généralement du côté des nantis ; mais sans sous-estimer la plasticité idéologique de sa stratégie. Surtout, on ne peut plus en rester à la manière de s'opposer au FN des années 80 ("F comme fasciste, N comme nazis"). Il s’agit de s’opposer autrement, et à la fois, à son racisme explicite ou latent et à la véritable imposture que constitue sa négation des intérêts et de la lutte des classes. Cela appelle à assumer pleinement une autre conception de la société, faisant droit à la diversité des cultures, associant analyse de classes et reconnaissance des communautés, portant la solidarité entre Français et étrangers, combattant toutes les discriminations…

 

Trois axes de combat

Si l’on se situe dans l’idée de déconstruire le jeu mortel - mortel pour la démocratie et pour l’égalité - du FN, trois axes au moins peuvent être mobilisés. Le premier consiste à assumer beaucoup plus clairement la rupture avec le système politique et institutionnel en crise. De fait, jusqu’à présent, le Front de gauche en est largement considéré comme partie prenante. Et l'histoire du PCF et celle du PG vont dans le même sens de ce point de vue car les deux ont (eu) partie liée avec le système politique qui périclite. Cet axe là va dans le sens et prolonge l'idée de désobéissance aux traités européens, à peine esquissée lors de la campagne des Européennes. Il pourrait se concrétiser par des évènements qui expriment clairement la rupture, ce qui va au-delà de la simple reprise des textes fondateurs du Front de gauche sur la VIe République (proposition importante mais qui ne fait pas le compte par rapport aux enjeux précédemment évoqués, ni par rapport aux actions concrètes nécessaires immédiatement pour signifier la rupture avec le système actuel).

 

Le second axe est justement la formulation de propositions manifestant non plus seulement un refus des politiques en oeuvre mais l'émergence d'une nouvelle conception, alternative à la fuite en avant libérale et antidémocratique, et à la régression nationale-raciste. Il pourrait s'agir de concevoir une série de campagnes citoyennes et de "mots obus", susceptibles d'être déclinés et implantés dans le débat public. Il s'agirait que ces mots soient irrécupérables et par les partis de gouvernement, et par l'extrême-droite : gratuité, diminution du temps de travail, biens communs, appropriation des entreprises, droits des migrants, lutte contre les discriminations et pour l’égalité... tous éléments qui participent d'un choix de société et qui peuvent se raccorder à un projet d’émancipation (émancipation : mot et projet qui n’intéresse ni le PS, ni l’UMP, ni le FN).

 

Le troisième axe concerne le raccordement entre mouvement social et politique. Sur ce champ, un scénario s’écrit aujourd’hui devant nous : le FN est en mesure de récupérer les mécontentements et les luttes qu’animeraient des syndicats qui continueraient de ne pas de soucier de l’enjeu que s’affirme une alternative politique. En résumé : aux syndicats la résistance aux politiques libérales ; et au FN l’alternative sociale-raciste. Soulignons, au passage, que les directions syndicales se tromperaient lourdement si elles pensaient que leurs sympathisants sont imperméables aux idées racistes. La polémique consécutive à la publication par L’Humanité (1) d’une étude sur le vote FN parmi les sympathisants des syndicats de salariés ne doit pas conduire au déni à ce sujet : alors que le FN risque désormais de devenir le débouché politique de tous les mécontentements sociaux, les directions syndicales peuvent-elles continuer à refuser d'investir la question de l’alternative politique ?

 

Comme l’écrit le Parti de gauche, l’enjeu de la période actuelle est « de mettre en mouvement la société elle-même ». Cela appelle, comme l’évoquent depuis quelques années les Communistes unitaires et d’autres, désormais réunis dans Ensemble !, à déplacer le curseur de la vie politique vers l’implication citoyenne, en rompant avec les formes politiques dépassées des partis-guides. Cela veut dire faire enfin le pari de soutenir l’émergence d’une nouvelle conception de la politique, aujourd’hui brimée par le Front de gauche. Pierre Laurent (PCF) est aussi allé dans ce sens en affirmant la nécessité de « mettre le Front de gauche à disposition des citoyens ». Chiche, cette fois, vraiment ?

 

 



03/06/2014

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