Vigilance Isère Antifasciste

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Hongrie, épidémie de peste brune (Paris-Match)

voir aussi : - Hongrie, la montée d'un nouveau fascisme

                   - par Edwy Plenel, janvier 2012 : "L'Europe, la Hongrie et le fascisme d'aujourd'hui: l'alarme de Paxton",

 

Paris-Match, 4 février 2012

Hongrie: épidémie de peste brune

Dans le pays de Viktor Orban, l’extrême droite parade. Et terrorise les Roms.

 

Hongrie: épidémie de peste brune

Ce n’est pas Nuremberg en 1933 mais Olaszliszka: tous les 15 octobre, depuis 2006, les nationalistes commémorent la mort d’un professeur, Lajos Szögi, lynché après un accident de la route. Sept Roms ont été tués pour le venger.


 

 

Blottie contre le portail de son jardinet, la vieille Maria tremble de peur. Cette institutrice à la ­retraite vit au bout d’un chemin boueux qui s’ouvre sur la Puszta, la plaine enneigée qui s’étend à perte de vue. « Ils n’ont balancé que des bouteilles en plastique, dit-elle en montrant les débris qui jonchent sa pelouse, mais ils ont promis de revenir avec des cocktails Molotov. » Ceux qui la menacent appartiennent aux phalanges de l’Armée des brigands, une des plus violentes milices de l’extrême droite hongroise.

Les Roms comme Maria sont leur cible prioritaire. La veuve sait de quoi ils sont capables, voilà plus de quinze ans qu’elle a quitté ­Budapest après que des skinheads ont tabassé à mort sa fille dans le métro. Cette fois, une trentaine d’hommes en blouson noir ont débarqué au crépuscule. « Ils se sont rassemblés devant la mairie, à la vue de tout le monde, affirme Maria. C’est sûr que le maire est de mèche avec eux. » Dans la plupart des villages, le quartier des Roms est une sorte de ghetto aux masures délabrées, à l’écart de celles des Hongrois de souche, les Magyars. Mais ici, à Medgyesegyhaza, près de la frontière serbe et roumaine, les deux communautés sont mélangées. Le voisin de Maria, un Magyar ultranationaliste, l’a déjà avertie du retour des Brigands. « Quand il est ivre, il hurle : “Le sang va bientôt couler par ici !” » Le soleil décline. La veille dame nous demande de partir. « Je ne peux pas être vue avec vous. On dit qu’ils pourraient sévir dès ce soir… »

Objectif de l'Armée des brigands: "redevenir les meilleurs guerriers d'Europe"

A quelques kilomètres, Zsolt Tyirityan rigole de son bon coup. « Oui, bien sûr, cette fois la police est intervenue, admet-il au téléphone à un acolyte. Mais on n’en a pas fini. » Ce rondouillard de 34 ans, aux cheveux ras, est le cerveau de l’Armée des brigands. Des descentes comme celle de Medgyesegyhaza, il en a orchestré une vingtaine ces derniers temps. « Les flics laissent généralement faire, beaucoup sympathisent avec nous », explique cet ancien sergent-chef, renvoyé de l’armée pour avoir fait circuler une pétition contre l’entrée de la Hongrie dans l’Otan. Depuis 2008, sa milice a recruté 200 membres actifs qui s’entraînent aux arts martiaux. « Notre objectif primordial est de ressusciter le programme génétique des Magyars : nous étions parmi les meilleurs guerriers d’Europe avant de nous dissoudre dans la société de consommation. » Parmi ces guerriers, un champion européen de close-combat, un ancien de la Légion étrangère, des gros bras tatoués de croix gammées et d’insignes SS.

Nazi proclamé, antisémite, Zsolt évoque avec nostalgie le moment où la Hongrie était alliée avec Hitler. Pourtant, sa cible du moment n’est pas la communauté juive mais l’autre minorité : les quelque 600 000 Roms (ou Tsiganes) citoyens de ce pays de 10 millions d’habitants. Il adhère pleinement aux nouvelles mesures du Premier ministre Viktor Orban, qui visent à conditionner les allocations sociales des Roms à un travail obligatoire, et pénalisent au maximum la moindre infraction. « Nos Roms, on ne peut pas les expulser, comme vous avez fait en France, et le nettoyage ethnique n’est plus d’actualité. Donc, la ­solution, c’est la rééducation. »

La violence des actes et des discours n’a cessé d’enfler depuis que la Hongrie s’enfonce dans la crise économique. Dans son taxi de Budapest, Lazlo Gyebnar déplie son pare-soleil pour allumer un petit écran plasma. Toute la journée, il fait défiler pour ses clients des films de propagande ultranationaliste. Sur fond de violons, on voit des hordes de guerriers huns ou scythes, ancêtres supposés des Hongrois, qui cavalent sur la plaine. Une autre vidéo ressemble à une pub électorale américaine. « Marre de travailler pour financer les chômeurs, marre de la criminalité rom ? » demande un ­acteur. Un bruit d’insecte emplit alors la bande-son, avant que l’acteur n’écrase un moustique. Puis vient le slogan : « Non aux parasites, votez Jobbik. »

Un député: «Les Roms deviennent un problème de sécurité publique»

C’est avec de tels messages que ce parti d’extrême droite, inexistant il y a quelques années, s’est imposé comme la troisième force politique du pays, emportant 17 % des voix aux législatives de 2010. Le Jobbik a rapidement débordé sur l’extrême droite le parti de Viktor Orban. « Pour nous, la politique, c’est une guerre de ­défense de la patrie en danger », explique Sandor Porzse. La Garde hongroise, la milice qu’il a fondée, a été officiellement dissoute à cause de ses marches ­paramilitaires et de ses uniformes d’inspiration fasciste. En pratique, ses 3 000 membres, réunis sous de nouvelles appellations, continuent de défiler et d’organiser des descentes anti-Roms aux côtés de l’Armée des brigands et des autres unités qui surgissent partout. « On ne cherche pas spécialement la violence, assure Porzse, élu député à Budapest, cadre dirigeant de Jobbik et rédacteur en chef de son organe de presse. Mais on veut forcer la police à agir contre les Roms. » Tandis que la natalité des Magyars décline fortement, les Roms, eux, continuent de faire au moins trois enfants par foyer. « Ça devient un problème de sécurité publique », dit le député.

En toile de fond de son discours revient aussi l’obsession des nationalistes hongrois : le traité de Trianon, imposé par les alliés, au lendemain de la Première Guerre mondiale, qui ôta à la Hongrie vaincue les deux tiers de son territoire. De grosses minorités hongroises vivent à présent en Slovaquie, en Roumanie et en Serbie. Porzse n’ose pas appeler au conflit territorial pour les ramener dans le giron de la mère patrie. « Mais la question va se poser un jour : si notre peuple est menacé, c’est notre obligation de le défendre. »

Telle est la ligne du parti avec qui Bruno Gollnisch a décidé d’allier le Front national. La coalition, qui ­regroupe en tout six mouvements, a été lancée par l’ex-numéro deux du FN, sous le nom ­d’Alliance européenne des mouvements nationaux, lors d’un congrès du Jobbik à Budapest, en 2009. Mais Porzse ne croit pas trop à sa cohésion. « Eux, ils n’aiment pas les Arabes. Alors que nous, notre problème c’est Israël », affirme ce député, convaincu qu’un « complot juif mondial » vise à « coloniser la Hongrie ou lui voler ses ressources ».

En pleine dérive autoritaire, le gouvernement hongrois, menacé de sanctions par l’Union européenne, risque de ne pas recevoir le prêt de 15 à 20 milliards d’euros qu’il demande pour rembourser les échéances de sa dette colossale. Mais l’extrême droite salue le programme d’Orban pour accorder la double nationalité aux Hongrois dans les pays limitrophes. Elle soutient aussi la vaste campagne d’inspiration nationaliste qui soulève le pays : des monuments installés devant les mairies pour rendre hommage à l’ancienne « Grande Hongrie », de nouveaux panneaux municipaux écrits en vieilles runes hongroises, l’alphabet antique des Magyars. Bien sûr, Jobbik approuve les plans d’Orban pour les Roms. « Cela dit, il est simplement en train d’appliquer notre propre programme électoral, affirme Porzse. Mais ce n’est pas très grave. Il nous pique nos idées ; nous, on lui pique ses électeurs. » Un récent sondage montre qu’avec 23 % d’opinions favorables Jobbik serait en passe de devenir le deuxième parti du pays, devant socialistes et libéraux en pleine capilotade.

Au nord de Budapest, Gyongyospata affiche des pavillons proprets aux couleurs pimpantes. C’est le laboratoire et la vitrine de l’extrême droite. Les milices se sont déchaînées ici l’année dernière, à tel point que la Croix-Rouge a dû évacuer les Roms par familles entières. La ville a ensuite élu un nouveau maire Jobbik, Oszkar Juhasz. L’élu, cheveux ras, petite moustache en brosse sur un visage carré, énonce fièrement ses ­résultats : une centaine des 400 Roms de la ville travaille maintenant à débroussailler, ramasser les ordures ou réparer les berges de la rivière. Leur salaire : 120 euros par mois, qui remplacent des allocations chômage encore inférieures. S’ils s’absentent du travail forcé, le maire leur supprime ces allocations pendant un an. S’ils sont renvoyés pour faute, on les supprime pour trois ans. Juhasz dénombre déjà huit ­renvois et, note-t-il avec satisfaction, le départ d’au moins 70 Roms du village.

Des classes pour enfants roms, où on ne leur apprend rien

Dès l’entrée du quartier rom, les rues se transforment en chemins boueux. Le maire n’a pas jugé bon de ­financer leur goudronnage. Il a, par contre, investi dans des caméras de surveillance, dont une juste devant la maison de Janos Farkas, le vajda, chef élu de la communauté rom. Avec les grands-parents, ­enfants et cousins, les Farkas ­vivent à 17 dans leur maisonnée où l’on grelotte : la commune a coupé le gaz. Janos n’a plus les moyens de payer, tant la commune et la police infligent à sa famille des amendes vexatoires : 30 euros pour n’avoir pas marché sur les trottoirs, 20 euros pour n’avoir pas de phare sur son vélo, etc. « Vous imaginez comment on peut régler tout ça, quand on ne gagne que 120 euros par mois ? » s’insurge ce père de trois enfants. Janos avait d’abord adhéré au programme de travail communal, content qu’on propose enfin une solution au chômage des Roms. « Mais c’était un piège », dit-il en listant les conditions de labeur harassantes et les brimades. Les Roms, par exemple, n’ont pas le droit de rapporter chez eux le bois mort qu’ils débroussaillent pendant leur travail. Le maire s’assure qu’ils le brûlent en plein air, plutôt que de s’en servir pour se chauffer.

Le pire, pourtant, c’est peut-être qu’on obscurcisse l’avenir. Une véritable ségrégation s’est installée à l’école, avec des classes pour enfants magyars au premier étage et d’autres pour enfants roms au rez-de-chaussée. « Des classes où on ne leur apprend rien, affir­me Janos. Même à la cantine ou aux toilettes, ils ont des lieux séparés. » Anxieux, il guette par la fenêtre le va-et-vient d’une voiture de police devant sa maison depuis notre arrivée. La caméra de surveillance a repéré que nous parlions aux Roms, et le maire n’aime pas ça. « Je n’arrive plus à croire qu’on est au XXIe siècle, ça me donne honte d’être hongrois, souffle Farkas. Et en tant que citoyen européen, ça me fait honte pour l’Europe. » En attendant de possibles sanctions de Bruxelles, Viktor Orban continue de caresser la fièvre nationaliste. Il vient d’innover en inventant la discrimination raciale… canine. Pour aider à combler le gouffre des finances publiques, une nouvelle loi impose une taxe aux propriétaires de chiens. Mais les pulis, komondors et autres races d’origine purement hongroise en sont exemptés



05/02/2012

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