Vigilance Isère Antifasciste

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Hongrie : l'extrême-droite veut mettre au pas la culture

Une mise au pas de la culture au nom des "traditions" et du "patriotisme"  qu'on avait vue aussi dans les mairies conquises autrefois par le Front National (Toulon, Vitrolles...),  qu'on voit encore à Orange, ville dirigée par le maire d'extrême-droite et identitaire Jacques Bompard.

 

"art dégénéré" : c'est sous ce terme que les nazis brûlaient livres et oeuvres d'art, interdisaient le jazz...

 

LE MONDE | 19.12.2012  Par Joëlle Stolz - Vienne (Correspondante) :

La Hongrie refait le coup de l'"art dégénéré"

 

Il a l'allure d'un moine-soldat en croisade contre "l'hégémonie culturelle libérale" et une conception quasi religieuse de l'intérêt national.

La consécration de György Fekete, 80 ans, architecte d'intérieur devenu président de l'Académie hongroise des arts, la toute-puissante "MMA", inquiète même les milieux de droite, jusqu'alors favorables à la "révolution conservatrice" du premier ministre, Viktor Orban.


La démission, fin novembre, de Gabor Gulyas, le directeur du Mücsarnok (Kunsthalle) de Budapest, est le signe le plus manifeste de cette fronde. Celle, mi-décembre, de Zoltan Rockenbauer, rédacteur en chef des services culturels de la holding, coiffant l'information publique, la MTVA, en est un autre. M. Rockenbauer, qui voulait ainsi protester contre une nouvelle vague de licenciements dans son secteur, avait été, de 2000 à 2002, ministre de la culture du premier cabinet de M. Orban.

 

Nommé par l'actuel gouvernement, Gabor Gulyas n'a rien non plus d'un gauchiste. Il avait auparavant dirigé le Centre d'art contemporain de Debrecen, un bastion du Fidesz, le parti au pouvoir. Il fut pourtant, en 2010, l'un des rares intellectuels de ce bord à se désolidariser de la campagne lancée contre les philosophes des Archives Lukacs accusés sans preuves solides de détournement de fonds publics.

 

"Blasphème antinational"

Mais c'est une récente exposition du Mücsarnok, "Mi a magyar ?" ("Qu'est-ce qu'être hongrois ?"), qui a provoqué la rupture. M. Fekete la juge "répugnante" et confinant au "blasphème antinational", les artistes ayant ironisé sur le culte excessif de la patrie.

L'ex-directeur, M. Gulyas, n'a pas apprécié que le Mücsarnok passe, le 1er janvier 2013, sous la tutelle de la MMA. Fondée à titre privé, en 1992, par des artistes et intellectuels conservateurs, notamment l'architecte, aujourd'hui décédé, Imre Makovecz, et forte de quelque 200 membres, cette Académie hongroise des arts a désormais un statut d'intérêt public, ancré dans la nouvelle Constitution. Un privilège sur lequel aucun gouvernement ne peut revenir sans une majorité des deux tiers.

Selon le site autrichien Artmagazine.cc, la MMA s'est vu doter dans un budget 2013 soumis à l'austérité, d'une force de frappe de 2,5 milliards de forint [8,8 millions d'euros], près de dix fois les subventions allouées à l'ensemble des institutions d'art contemporain. Sur son site, elle ne donne guère de détails sur ses buts ou ses activités, hormis une déclaration en faveur de l'actuel gouvernement.

 

Manque de patriotisme

Or, à en croire M. Fekete, ce cercle aura désormais la haute main sur les nominations à la tête des institutions culturelles, les attributions budgétaires et les bourses accordées aux artistes.

Dans le quotidien allemand Die Welt, le chef d'orchestre hongrois Adam Fischer, qui a démissionné en 2010, de son poste de directeur musical de l'Opéra de Budapest, s'émeut des déclarations de György Fekete à l'hebdomadaire d'extrême droite Demokrata. Ce dernier a désavoué le manque de patriotisme de ceux qui osent critiquer le gouvernement.

Il visait en particulier le Prix Nobel de littérature Imre Kertész ou encore l'écrivain György Konrad, lui aussi d'origine juive : "Nous devons supposer qu'à l'étranger même György Konrad est considéré comme hongrois, quoi qu'il puisse dire [contre son pays]", s'indignait le président de la MMA. Pour M. Fischer, il s'agit d'un "langage antisémite codé", selon lequel les juifs ne seront jamais d'authentiques Hongrois.

Viktor Orban a d'ailleurs repris inconsciemment ces codes. En effet, pour se démarquer des déclarations d'un député d'extrême droite qui avait appelé en plein Parlement, fin novembre, à établir des "listes des députés juifs" (censés poser un problème de sécurité nationale à cause de leur allégeance à Israël), le premier ministre a déclaré : "Nous les Hongrois, allons défendre les juifs."


Perfide conspiration

Dans un entretien enregistré en vidéo par le site Index.hu, M. Fekete est catégorique : pour appartenir à la MMA, il ne faut pas "voyager à l'étranger et y diffamer sa patrie", déclare-t-il. Plus question de montrer des expositions critiques comme celle de la Kunsthalle de Budapest, qu'il faut "rendre aux artistes hongrois". On bannira aussi des institutions publiques toute offense à l'Eglise, puisque le régime Orban se réclame d'une "Hongrie fondée sur la tradition chrétienne".

Le nouveau pape de la culture hongroise "se moque éperdument de la démocratie moderne", qui encourage la laïcité, car, dit-il, "ce n'est pas une vraie démocratie, mais le règne de la minorité" [des avant-gardes libérales].

Le même argument avait été utilisé, en 2011, pour confier la direction du Nouveau Théâtre de Budapest à l'acteur György Dörner, fondateur du parti d'extrême droite Jobbik, et à l'écrivain antisémite Istvan Csurka.

Mort début février, ce dernier a été inhumé à Budapest en présence de nombreux officiels. M. Dörner a cependant dû renoncer cet automne à faire jouer une pièce de Csurka, Le Sixième Cercueil, qui attribuait à une perfide conspiration des banquiers juifs toutes les tragédies subies au XXe siècle par la Hongrie, y compris l'Holocauste. C'en est visiblement trop, même pour de fidèles compagnons de route de M. Orban.

 

"Nouveau bolchevisme"

Dans la dernière édition de l'hebdomadaire Heti Valasz une tribune de la droite modérée –, le musicien de rock Levente Szörenyi avertit que le contrôle exorbitant donné à la MMA conduit à la catastrophe : "J'en ai ras-le-bol de devoir avaler n'importe quoi venant de la scène soi-disant nationale, simplement parce que ce serait national. De devoir m'excuser de trouver mauvaise une création sous prétexte que je ne serais pas assez Hongrois", clame M. Szörenyi.

Ce dernier a fait sensation en 1983 avec son opéra-rock Istvan, a kiraly ("Le roi Etienne"). Cet opus sans cesse rejoué depuis devait figurer au programme du prochain Festival d'été de Szeged (sud de la Hongrie), dont la directrice vient d'être limogée sous la pression de la MMA. Le Johnny Hallyday de la Hongrie, qui a chanté jadis les héros Attila et Arpad, dénonce en la MMA "un nouveau bolchevisme", aveuglé par l'idéologie au détriment de la qualité artistique.

M. Orban, déjà sous surveillance de ses alliés occidentaux, sera ainsi forcé d'arbitrer entre les "ultras" de M. Fekete et le reste de la scène culturelle – gauche et droite pour une fois unies.

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Les ultranationalistes hongrois tentent de reprendre en main la culture

LE MONDE | 19.12.2012 .  Par Joëlle Stolz - Vienne (Correspondante)


 

La reprise en main du secteur culturel par les ultranationalistes est sensible à la tête de festivals prestigieux, telle la Semaine du film à Budapest, ou encore au Festival de printemps, ouvert en mars à la Galerie nationale de Buda, en présence du président de la République et de nombreux édiles du Fidesz, au pouvoir.

Pour rendre hommage au compositeur Laszlo Lajtha (1892-1963), on y a diffusé de larges extraits d'un film dont il avait créé la musique, Hortobagy, de Georg Höllering (1936), commandité par le régime de Miklos Horthy, un allié d'Hitler.

Hymne à la puszta (la steppe hongroise) avec ses troupeaux en liberté, ce film ne manque pas de lyrisme, mais le montage diffusé au festival est bien plus réactionnaire que la version de 1936 – visible sur le site Pusztaranger, en date du 25 mars 2012. Cette version escamote les conflits entre tradition et modernité, telle la scène du vélo piétiné par les sabots du cheval du patriarche, qui rythment la dramaturgie d'Höllering.

 

Désir de revanche

Le traitement infligé aujourd'hui à son film est révélateur de l'idéologie de retour en Hongrie. Lors de la campagne pour les législatives de 2010, quand les sondages annonçaient un triomphe du camp de M. Orban, Imre Makovecz, fondateur de la MMA [l'Académie hongroise des arts], avait promis : "Si nous revenons au pouvoir, nous effacerons les cent dernières années."

Le désir d'une revanche sur les élites qui tenaient le haut du pavé depuis la chute du communisme, mais aussi sur la mutilation territoriale subie en 1920 lors du traité de Trianon, imprègne la MMA.

Le sectarisme menace aussi les arts plastiques soumis à la férule de M. Fekete (président de la MMA). Dans une déclaration publiée le 4 décembre, le Conseil pour les arts de Berlin s'alarme de cette mise au pas, tout comme la section hongroise de l'Association internationale des critiques d'art, l'AICA, qui, le 8 décembre, s'inquiète de ce qu'en donnant "à un groupe d'artistes ultraconservateurs proches du gouvernement un pouvoir inamovible", on "compromette à long terme l'autonomie, le professionnalisme et les procédures démocratiques dans l'art contemporain hongrois".



23/12/2012

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