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Immigration, délinquance: les intox de Le Pen et Cie ( par Désintox-Libération)

Sur Libération / Désintox (le 13 février 2012) :

Immigration, délinquance : à Strasbourg, Le Pen ressort ses intox

Marine_lepenEn une heure et demi d’un meeting consacré à la délinquance et à l’immigration, dimanche à Strasbourg, Marine Le Pen a eu le temps de revisiter ses classiques. Et de ressortir ses bobards favoris. Chronique de l’intox frontiste ordinaire.

 

1) «On ne peut pas accueillir 1 million d’immigrés en cinq ans.»

Voilà le calcul de Marine Le Pen : chaque année, la France accueille plus ou moins  200 000 immigrés légaux.  C’est vrai. Le Pen poursuit : sur cinq ans, cela fait donc 1 million d’immigrés accueillis. C’est faux. Car Marine Le Pen  néglige systématiquement de préciser que la moitié de ces immigrants repartent (saisonniers, la grande majorité des étudiants etc.).

 

2) « Selon une étude officielle britannique toute récente, sur les cinq dernières années, 160 000 Britanniques n’ont pas trouvé d’emploi à cause de la concurrence due à l’immigration. L’immigration n’est pas la première cause du chômage mais elle y contribue, elle l’aggrave en période de pénurie d’emploi. Elle pèse de surcroit à la baisse sur les salaires. »

Partons à la recherche de cette fameuse « étude britannique ». Mi-janvier, le Mac (Migration Advisory Committee, un organisme para-public missionné par le gouvernement britannique sur les questions migratoires) a bien rendu ses conclusions sur les liens supposés entre immigration et chômage. Premier constat sur lequel s’arrête Marine Le Pen : les 160 000 laissés-pour-compte britanniques. En prenant de grandes précautions, l’étude va dans son sens : « On peut prudemment estimer que lorsque 100 immigrés (hors Union européenne) arrivent, il y a moins d’emplois disponibles pour 23 Britanniques. » Au bout du calcul, on arrive à une perte théorique de 160 000 emplois pour les Britanniques pur-jus entre 2005 et 2010 ... soit 1,2% des chômeurs par an.

Mais les auteurs de l’étude ont immédiatement pondéré leurs résultats, précisant qu’il n’y avait pas de « lien direct de cause à effet entre immigration et chômage » mais plutôt une « association de facteurs ». Parmi eux, la crise est essentielle : « [Le phénomène] n’arriverait pas dans une période économique faste ».  Au même moment, un autre institut britannique (le National Institute of Economic and Social Research) a d’ailleurs publié des conclusions opposées. Selon lui, l’immigration n’a « globalement pas eu d’impact » sur le nombre de demandeurs d’emploi entre 2003 et 2011.

Dernier point évoqué par Marine Le Pen dans son discours : une baisse des salaires liée à l’immigration. Ca tombe bien, le Mac s’est justement penché sur la question … et nuance un peu la corrélation. Quelques lignes après l’histoire des 160 000 chômeurs, on peut lire : « L’immigration n’a pas d’impact sur le salaire moyen. Elle augmente les salaires des emplois les plus qualifiés et diminue le salaire des moins qualifiés. » Mais Marine Le Pen a sans doute fait l’impasse sur le paragraphe.

 

3) «Plus il y a d'étrangers qui rentrent, plus les salaires baissent, 1% d’immigration en plus c’est 1% de salaire en moins, c’est une étude qui avait été réalisée par les Etats-Unis.»

Cette fois, ce n’est donc pas dans une étude britannique que Marine Le Pen trouve sa matière, mais dans une étude faite «par les Etats-Unis». Ce n’est pas la première fois qu’on entend ce chiffre dans la bouche de Le Pen. L’affirmation était même la statistique favorite du FN à l’époque des élections cantonales de 2010. Le 20 février 2010, sur France Inter, Le Pen déplorait : «Dans un rapport extrêmement sérieux, on indique que 1% d’immigration supplémentaire, ça entraîne 1,2% de baisse des salaires en France.» Le 11 mars 2010, lors d’un meeting à Bompas (Pyrénées-Orientales), elle récidivait : «Comme l’ont confirmé toutes les études, 1% d’immigration en plus, c’est 1,2% de salaires en moins.» Cela lui avait déjà valu une Désintox.

Depuis, Marine Le Pen a juste fait un petit progrès : elle précise qu’il s’agit d’une étude américaine et non pas d’une étude portant sur la France... Pour le reste, l’'utilisation de la référence demeure toujours fort malhonnête. Le chiffre cité par Le Pen se trouve dans un rapport du CAE daté de juin 2009. Ce dernier, qui traite de l’impact économique de l’immigration, consacre quelques pages aux études empiriques sur le sujet. On y trouve mention (p.37) d’une étude réalisée par les économistes américains Altonji et Card (1991), qui aboutissent à la conclusion qu’une augmentation du nombre d’immigrés correspondant à 1% de la force de travail totale (ce qui n’est pas la même chose qu’une «hausse de 1% de l’immigration», comme le simplifie Le Pen) réduit de 1,2% le salaire des moins qualifiés (et pas les salaires en général, comme le rapporte Le Pen), et réduit également le taux de chômage de 0,25% (ce dont Marine Le Pen ne parle pas).

Cette étude n’est pas la seule à être mentionnée dans le rapport du CAE. Une autre (LaLonde et Topel) aboutit par exemple à la conclusion que «l’immigration de travailleurs peu qualifiés réduit essentiellement le salaire d’autres immigrés peu qualifiés et que l’effet est faible». Interrogé, l’auteur du rapport, Gilles Saint-Paul, avait expliqué à Libération qu’en théorie «toute hausse de l’offre d’une certaine catégorie de travailleurs crée une pression à la baisse sur les salaires de cette catégorie de travailleurs, tout en bénéficiant aux travailleurs complémentaires. Mais il existe de nombreuses études empiriques sur les effets de l’immigration sur les salaires. Certaines trouvent un effet nul ou faible, d’autres des effets négatifs sur les catégories de travailleurs les plus exposées à la concurrence des migrants».

Ajoutons que les travaux d’Altonji et Card portent donc sur les Etats-Unis, et que leurs résultats ne peuvent être transposés à la France, en raison des caractéristiques du marché hexagonal (rigidités salariales, salaire minimum). Ce point est soulevé en annexe du rapport par Antoine Magnier, directeur de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) : «Il faut rester assez prudent sur les enseignements - pour les pays européens - qu’on peut tirer des études menées sur des données américaines, dans un contexte où nos marchés du travail et nos marchés de biens et services sont réputés moins souples qu’aux Etats-Unis.»  

 

4) «Je vais baisser l’immigration légale de 200 000 entrées à 10 000 par an»

Une division par vingt de l’immigration légale en cinq ans? La candidate a tenté de préciser lors de son discours comment elle pensait arriver à ce résultat spectaculaire : division par cinq de l’asile, une stricte limitation de l’immigration des étudiants et des travailleurs aux meilleurs d’entre eux, et une suppression du regroupement familial. Hélas, comme cela avait déjà été souligné ici, il y a un problème de taille dont Marine Le Pen ne parle guère :  les quelque 40000 conjoints étrangers de Français qui entrent annuellement sur le territoire et représentent pourtant 20% de l’immigration légale. A eux seuls, ils rendent complètement absurde l’objectif brandi par Marine Le Pen. Interrogé par Désintox, le FN avait reconnu ne pas vouloir empêcher les conjoints Français de s’installer, mais avait expliqué que le flux se tarirait du seul fait de la suppression du droit du sol. Très fumeux.

 

5 «Les violences contre les personnes, les inadmissibles violences, n’ont jamais autant augmenté, en hausse année après année.»

Voilà une intox que Le Pen partage avec Hollande et le PS (lire sur le sujet la Désintox consacrée à Manuel Valls). Primo, l’idée selon laquelle le nombre de violences constatées par les forces de l'ordre a progressé plus qu’à toute autre période est inexacte. Les violences constatées augmentaient à un rythme bien supérieur entre 1997 et 2002  (voir le tableau au bas de la p.27). Mais surtout, comme on s’échine à l’écrire sur ce blog, l’augmentation des violences constatées ne signifie pas forcément une augmentation dans les mêmes proportions des violences réelles. Pour des raisons exposées ici. En substance, l’évolution du nombre de faits constatés varie notamment en fonction du comportements des victimes (dépôt de plainte). Elle traduit aussi le basculement de certains faits de la contravention vers le délit (d’où une prise en compte dans les statistiques de la délinquance de faits qui n'étaient pas précédemment enregistrés).



04/03/2012

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