Vigilance Isère Antifasciste

Vigilance Isère Antifasciste

"Le Front National à la conquête du pouvoir ?", par Alexandre Dezé. En librairie, février 2012

 

voir aussi :

- par Alexandre Dézé et Cédric Moreau :  Le Front national n'a pas changé"

- par RLF-isère : Agression raciste contre A. Pulvar et A. Montebourg : nouvelle illustration du "programme" du FN

- de Claire Checcaglini :   "Bienvenue au Front, journal d'une infiltrée". En librairie le 27 février

 

"Le Front National à la conquête du pouvoir ?"

Par Alexandre Dezé

Editions Armand Colin, En librairie, février 2012. 17 euros

 

Alexandre Dézé est maître de conférences en science politique à l’Université Montpellier 1 et chercheur au CEPEL-Centre d'Etudes Politiques de l'Europe Latine-  depuis le 1er septembre 2009.

Docteur en science politique de l’Institut d’Études Politiques de Paris (2008), il est également titulaire d’un DEA d’Histoire du vingtième siècle et d’un DEA d’Études politiques de l’IEP de Paris. Il a été chargé de conférence à l’IEP de Paris (1999-2009), attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université de Tours (2001-2003) et visiting fellow à l’Université de Princeton (2003-2004). Il a par ailleurs lancé et co-dirige depuis 2007 (avec Yohann Aucante) la collection « Ouvertures politiques » aux éditions De Boeck.

Membre du GEOPP (Groupe sur l’Étude des Organisations et Partis Politiques, AFSP) et du Réseau de recherche Démocratie électronique (DEL), il participe également aux activités du Standing Group on Extremism an Democracy (ECPR).

 

Le Front nationalLe FN entre rejet du système et désir de voix

Par ANTOINE GUIRAL, LIBERATION

Comme à ses origines au début des années 70, le Front national version Marine Le Pen est aux prises avec une contradiction majeure. D’un côté, la formation frontiste rejette le système ; de l’autre, elle cherche à s’y adapter pour élargir son audience électorale et conquérir le pouvoir. La tension permanente entre ces deux logiques est au cœur du Front national : à la conquête du pouvoir ?, l’ouvrage d’Alexandre Dézé, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Montpellier I.

Le chercheur propose une approche avant tout analytique qui éclaire les limites de l’entreprise actuelle de «dédiabolisation» à l’aune de l’histoire mouvementée du parti. Il s’intéresse aussi de manière éclairante à l’évolution de l’iconographie et des affiches du FN.

Depuis sa création par le groupuscule Ordre nouveau jusqu’au récent duel entre Bruno Gollnisch et Marine Le Pen, le parti est tiraillé entre sa volonté de fédérer les chapelles les plus radicales de l’extrême droite et celle d’une «normalisation». Son isolement est sa marque. Mais il est aussi sa grande faiblesse. Ce n’est qu’au prix de crises, de départs incessants de ses cadres, voire de scissions (comme Bruno Mégret en 1998) que le FN oscille entre ces options. Voilà pourquoi il ne parvient jamais à nouer d’accords nationaux avec les formations de droite et n’a pas souhaité opérer sa mue pour participer à un gouvernement comme son cousin italien du MSI.

 

En dépit de son installation dans le paysage politique, le FN est toujours obligé de remonter la pente. Un jour pour renflouer ses finances, un autre pour tenter une impossible correction d’image après un dérapage du vieux chef, opéré tout autant pour des raisons internes que par conviction idéologique… Et la question de son accession au pouvoir achoppe toujours sur la même problématique : «Pour obtenir le soutien électoral le plus large possible, le parti doit se donner les allures d’un parti comme les autres. Mais s’il veut continuer de se différencier dans la compétition et bénéficier de l’appui de ses militants, il doit se distinguer», écrit Dézé. A quelques semaines du premier tour, son livre pose un regard indispensable sur les ressorts de la dynamique et des impasses frontistes.

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le Nouvel Obs, 1er mars 2012:

Marine Le Pen est elle anti-système ?

Par Nicolas Lebourg, chercheur, spécialiste de l'extrême droite

L'observateur du lepénisme a regardé le débat avec Jean-Luc Mélenchon et livre son analyse.

Marine Le Pen sur le plateau de "Des Paroles et des Actes". Sipa

Marine Le Pen sur le plateau de "Des Paroles et des Actes". Sipa

Marine Le Pen a longtemps été décrite comme une reine des médias. Non seulement son message passait auprès des auditoires, mais elle cherchait à instaurer un climat de proximité avec la presse, chose inconnue jusque-là de la part du Front national. Depuis début janvier, l’atmosphère a changé. Quand les questions ne lui conviennent pas, Marine Le Pen refuse d'y répondre ou les retoque avec une ironie hautaine.

 

Cette dynamique a trouvé un stade qu'il faut espérer pour elle ultime dans son refus de débattre face à Jean-Luc Mélenchon, vingt minutes durant. Pourtant, sur le même plateau de "Des Paroles et des actes", elle avait été cordiale avec Henri Guaino quelques instants avant. Si on pouvait, il y a quelques semaines, songer que cette communication brouillonne était due à la fatigue de mois de campagne, cette émission de télévision a montré le problème de la stratégie communicationnelle de Marine Le Pen, entre rupture avec le système et volonté d'intégration à celui-ci.

Il s'avère que cette question est justement le sujet d'un ouvrage concis, précis et pertinent que vient de publier le politologue Alexandre Dézé "Le Front national : à la conquête du pouvoir ?" (Armand Colin). L’étude démontre comment la construction du vote frontiste s'est faite par un balancement entre stratégie de démarcation (permettant de capter le vote "anti-système") et tactiques de légitimation (tentant la sortie de l’impuissance politique).

 

Les raisons initiales

Comme le souligne Nonna Mayer dans sa préface, le vote frontiste est grandement dépendant de son contexte social. Celui-ci est actuellement porteur : le mal-vivre est hégémonique (82% des sondés estiment que leurs conditions de vie se sont détériorées ces dernières années), les thèses frontistes reçoivent un soutien record (56% des sondés considèrent qu’il y a trop d’étrangers en France). Cependant, les enquêtes montrent que le capital de sympathie dont jouit Marine Le Pen ne l’a pas "présidentialisée" pour autant, ses indicateurs de crédibilité restant à peu près confinés au niveau de ceux de ses intentions de vote.

Ces conditions présentes d'une ligne mi-rupture mi-légitimité s'inscrivent par ailleurs dans l'histoire et la nature du parti. Comme le rappelle Alexandre Dézé, le FN fut fondé par le mouvement néo-fasciste Ordre Nouveau en 1972 au motif que le but de révolutionnaires était de prendre le pouvoir "soit par la légalité, soit par l’illégalité". Ceux qui aspiraient ouvertement à un régime néofasciste choisirent l’ancien député poujadiste Jean-Marie Le Pen pour une opération de ce que l’on ne nommait pas encore une dédiabolisation.

Marquées par la personnalité sulfureuse de François Duprat, les premières années sont, pour Alexandre Dézé, structurées par une transaction entre groupuscules radicaux (qui cherchent ainsi un débouché social pour leurs membres bloqués à la marge) et notables réactionnaires dont Jean-Marie le Pen (en quête désespérée de militants et de candidats pour asseoir la légitimité de l’existence de leur formation). Quoique délicate, cette interaction a permis au parti de trouver là sa base de signes de radicalité qui allaient lui permettre dans la phase suivante de coaliser les mécontents (dénonciation de l’ensemble de la classe politique et du coût social de l’immigration).

 

Marketing et tactiques

La décennie 1980 voit le parti s’installer dans la vie politique. Sous l’égide de Jean-Pierre Stirbois, une vraie politique de normalisation du matériel de propagande est mise en place, avec des structures visuelles sans cesse répétées (élément d’importance : Alexandre Dézé a repéré pas moins de 250 modèles d’affiches entre 1972 et 2005 – l’usage intensif de l’affichage ayant pour vertu de donner l’impression d’une expression populaire et normalisée).

 

Le "Front national" fait peur de par ses origines ? Il disparaît de ce matériel au profit de la focalisation sur le ténor, du simple sigle "FN", voire à plusieurs reprises de l’invention de noms de listes fondés pour l’occasion – ainsi ces candidatures Rassemblement national", frontistes et divers droites, aux législatives de 1986, dont Marine Le Pen a annoncé le retour pour les législatives 2012. Le parti recycle alors nombre de notables qui peuvent y trouver des carrières d’élus qu’ils n’auraient pas forcément eu dans les partis de droite, en retour le FN embourgeoise et normalise son image. "Le point de détail" et autres saillies lepénistes permettent dès lors de gérer tout ensemble démarcation et légitimation.

 

Ce jeu parvient à son acmé avec la prise en mains du parti par Bruno Mégret. Amplement en réaction aux tentatives de braconnage de son électorat sur le thème de l’immigration, Bruno Mégret parvint tout à la fois à considérablement radicaliser idéologiquement le FN avec un discours racial, d’autre part à jouer une politique d’intrusion au sein des droites. La rupture avec les normes du "système" et l’intégration à celui-ci en termes de carrière électorale vont ici parfaitement ensemble. Le parti engrange des victoires électorales et même quatre mairies alors qu’il est de plus en plus considéré extérieur à la vie républicaine : Alexandre Dézé nous rappelle qu'en 1994, 73% des sondés pensent que le FN est "un danger pour la démocratie", 85% qu’il est "sectaire", 86% qu’il "n’est pas capable de gouverner".

Jean-Marie Le Pen s’arc-boute et, en appelant aux origines du FN, affirme que le parti est là pour assurer une alternance intégrale au système et non composer avec lui contre quelques strapontins. Imposées par Bruno Mégret, les alliances passées avec les droites dans les exécutifs régionaux se font sans leur demander de concession idéologique.

 

En échange de sa normalisation et de postes d’élus, représentant tant une dynamique pour son électorat qu’un débouché social pour ses cadres, le Front ne réclame pas que ses nouveaux amis avalisent la préférence nationale ou ses autres totems. Finalement, les deux têtes du FN finissent par incarner chacun l'une des dynamiques : à Jean-Marie Le Pen la démarcation, à Bruno Mégret l'institutionnalisation. Le caractère trop entier des hommes d'extrême droite ne leur permet pas de jouer la complémentarité pour faire exploser le système : c'est le parti qui implose.

 

Marine Le Pen : combien de divisions ?

Le livre reprend de nombreux éléments de la thèse de sciences politiques soutenue par son auteur en 2008 sous la direction de Pascal Perrineau. Néanmoins, il y a ajouté une perspective très actuelle afin de savoir si le balancement qu'il analysait comme structurant le parti sous la présidence de Jean-Marie Le Pen a perduré sous celle de sa fille.

Cette dernière a pris le parti à la fois de l'intérieur, avec l’élimination méthodique de ses opposants dans les années précédant le congrès de 2011, et de l'extérieur, en jouant d'une image modernisatrice dans les medias. Lorsqu'elle ne cesse de parler de dédiaboliser et de crédibiliser le parti elle s'inscrit nettement dans la volonté de respectabilisation du mouvement. Elle le fait en puisant sans fin dans les méthodes antérieurement utilisées par le FN, en particulier celles des mégretistes. Comme le souligne Alexandre Dézé la rupture mariniste a tout de la continuité.

 

La grille de lecture de ce livre utile permet de mieux comprendre la communication présente de Marine Le Pen. Jusqu'à décembre 2011, Marine Le Pen avait placé l’élément "rupture" de sa communication sur la question économico-sociale (défense des petits, lutte contre la financiarisation de l'économie, sortie de l'euro, etc.) et soignait pour le reste sa dynamique d'institutionnalisation (affirmation de l'absence de racisme, programme, mise en avant d'un énarque comme directeur de campagne, etc.). Elle est amplement revenue sur les fondamentaux de l'immigration, mais l'agressivité déployée dans les émissions, le refus de débattre, ne sont sans doute pas des éléments tactiques. En effet, ils participent à une rediabolisation dont elle est à la fois la première responsable et la première victime, au vu du tassement de ses intentions de sondages.

 

La sympathie dont elle fit montre envers Henri Guaino peut se comprendre : l'homme est déjà parvenu à déclarer qu' "Hollande n'est pas un républicain" et à accorder un brevet de gaullisme au Front national... Mais la connivence affichée renvoyait un bien puissant désir d'intégrer "le système". En retour, face à Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen n'a ni incarné la rupture ni représenté la respectabilisation. Quand sa voix tremble de colère avant, drapée de vertu, de se taire, quand ses mains trient des papiers ou annotent pour se donner une assurance, le seul effet est de laisser le leader du Front de gauche aligner sa déconstruction chiffrée du programme lepéniste. Seul le noyau dur pro-lepéniste n'y voit pas une Bérézina quant au b-a-ba de la propagande. 

 

Une candidate anti-système ne refuse pas le conflit. Une candidate légitime à la présidentielle ne refuse pas le débat. En regardant l'émission, on songeait que jamais son père n'eût agi ainsi. Il l'a d’ailleurs démontré en venant à la rescousse dans une pure agitation populiste, déclarant vouloir "retirer son caleçon" à Jean-Luc Mélenchon... On se disait qu'était loin la synthèse qu'avait su opérer Bruno Mégret entre radicalisation clivante et institutionnalisation.

On pensait à cette formule de François Duprat : "L’action politique est la tentative acharnée d’occuper le maximum de terrain. Le reste n’est que littérature. Mauvaise, de surcroît !" En entendant Marine Le Pen ne cesse de confondre ses intention de vote des sondages avec les "millions d'électeurs" dont elle affirmait paradoxalement défendre les voix par son silence, on se disait que le croisement d'institutions plébiscitaires et de la démocratie d'opinion enfermait les chefs de partis dans une bulle, même lorsqu'ils sont à l'origine doués d'un vrai talent pour ressentir le peuple.

 

En écoutant Marine Le Pen, on refermait le livre d'Alexandre Dézé en songeant que "l'intransigeance" que s'était reconnue Marine Le Pen dans l'émission n'en était pas une, mais une bien trop grande confiance accordée au rôle du tribun et de son instinct, au détriment d'une stratégie construite avec un marqueur bien placé entre pulsion anti-système et offre crédible. Une erreur tactique que son camp a payé systématiquement par l'impuissance à intégrer l'espace institutionnel, malgré tous ses efforts.



05/03/2012

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