Vigilance Isère Antifasciste

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Le nazisme, une rupture fondamentale avec les idéologies occidentales ? Entretien avecJohann Chapoutot

 

 

« Les nazis n’ont rien inventé. Ils ont puisé dans la culture dominante de l’Occident libéral » – Entretien avec Johann Chapoutot

 

A lire en entier sur  ce site : Le vent se lève

 

Jhttp://images4.livreshebdo.fr/sites/default/files/assets/images/37582_chapoutot_johann14c_heliegallimard.jpgohann Chapoutot est professeur d’histoire à l’Université Paris-Sorbonne, spécialiste de l’Allemagne nazie. Il a consacré de nombreux  ouvrages à l’étude de l’idéologie nationale-socialiste (La loi du sang, le nazisme et l’Antiquité…) traduits en sept langues et récompensés par de nombreux prix. Il s’intéresse aux fondements philosophiques, historiques et (pseudo-)scientifiques du nazisme ; il étudie les moyens par lesquels cette vision du monde a pu devenir hégémonique en Allemagne à partir de 1933. Ses analyses mettent en lumière certains aspects peu connus de ce phénomène historique ; nous avons décidé de le rencontrer.


« La race, les colonies, une conception darwiniste du monde : toutes ces catégories formaient un monde commun entre les démocraties occidentales et les nazis »

LVSL : Les programmes scolaires présentent le national-socialisme comme une rupture radicale, presque comme une énigme, un monstre né au milieu de nulle part au sein de l’Occident libéral, l’Europe des Lumières. Dans votre livre Fascisme, nazisme et régimes autoritaires, vous suggérez pourtant que l’idéologie nazie trouve ses racines dans la pensée dominante et la culture de l’Europe du XIXème et XXème siècle…

 

Johann Chapoutot – Radicalité et rupture il y a eu en effet, dans la mesure où les nazis ont agi avec une violence extrême, dès 1933, contre leurs opposants politiques, c’est-à-dire la gauche sociale-démocrate, communiste et syndicale ; puis contre des personnes considérées comme biologiquement malades, qui ont été stérilisées dans un premier temps. Les nazis incarnent donc une rupture dans et par l’action.

Mais au niveau des idées, si l’on fait une analyse de la vision du monde nazie, si on décompose le nazisme en ses éléments constitutifs : le racisme, l’antisémitisme, l’eugénisme, le darwinisme social, le capitalisme version enfants dans les mines, le nationalisme, l’impérialisme, le militarisme… on découvre que ces éléments sont d’une grande banalité dans l’Europe, et plus largement dans l’Occident de l’époque. Les nazis puisent largement dans la langue de leurs contemporains, et c’est ce qui les rend fréquentables jusqu’au début de la guerre. On se demande pourquoi les démocraties n’ont pas réagi face au nazisme ; d’une part, elles avaient autre chose à faire. D’autre part, elles considéraient que ce que faisait Hitler dans son pays était honorable : plus de gauche, plus de syndicats … l’Allemagne est devenu un paradis pour les investisseurs à partir de 1933. Dans ce climat de lutte contre le communisme, l’Allemagne apparaissait en outre comme un rempart contre l’Est.

 

Lorsque Hitler évoquait ses intentions en politique étrangère, ses déclarations étaient reçues à l’étranger et actées. Un exemple : en mars 1939, Hitler envahit le reste de la Tchécoslovaquie, violant ainsi les accords de Munich. Protestation de Roosevelet devant cet homme si peu fiable qu’il déchire les traités ; Hitler répond à Roosevelt et aux chancelleries occidentales dans son discours du 23 avril 1939 au Reichstag. Il déclare qu’il est responsable du sort de 80 millions de « Germains » (au sens racial) et qu’il doit les nourrir ; que l’Allemagne abrite 150 habitants au kilomètre carré, contre 15 kilomètre carré aux Etats-Unis : l’Allemagne a donc besoin de conquérir un espace, un espace vital. Hitler ajoute que les démocraties occidentales, elles, ont leurs colonies. Que les Etats-Unis possèdent leur propre colonie intérieure, née du massacre des Indiens. Hitler déclare donc que les trois grandes démocraties du monde (les Etats-Unis, l’Angleterre et la France) n’ont rien à dire à l’Allemagne, parce que ce qu’elles pensent en terme d’hinterland colonial (des espaces dont les métropoles tirent subsistance), l’Allemagne nazie le pense en terme de biotope.

 

couverture de [REVUE_ID_NUMPUBLIE]Ce discours est structuré par deux logiques sous-jacentes. D’une part, une logique de darwinisme social : un peuple blanc doit pouvoir s’étendre au détriment d’autres peuples moins évolués et moins civilisés. D’autre part, une logique encore plus clairement biologique: il doit y avoir une adéquation entre l’espace et l’espèce, entre le territoire et la race. Quand les chancelleries se trouvent face à ce genre de discours, que voulez-vous qu’elles trouvent à répondre ? Surtout de la part de pays qui ont conclu un Traité sans que l’Allemagne y ait son mot à dire, volé 15% de son territoire et confisqué ses colonies…

Hitler joue sur deux choses : la mauvaise conscience des Occidentaux, vainqueurs d’hier, et le fait qu’il existe un monde commun entre eux. Il existe entre eux des catégories communes : la race, le juif, l’hinterland, une vision darwiniste du monde. Ce qu’ils font de ces catégories est différent, mais dire que les Juifs posent problème est un discours que personne ne conteste. En 1938, à la conférence d’Evian, chargée de statuer sur le sort des Juifs, aucun pays au monde ne veut accueillir les réfugiés ; seule la République dominicaine (sous le dictateur Trujillo) accepte d’accueillir les Juifs, pour des raisons racistes : il s’agissait de blanchir la population de la République dominicaine…

Toutes ces catégories communes forment un monde commun entre l’Allemagne nazie et l’Occident libéral.

 


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Pour aller plus loin :

  • Johann Chapoutot, Le nazisme et l’Antiquité (2012)
  • Johann Chapoutot, Fascisme, nazisme et régimes autoritaires en Europe (2013)
  • Johann Chapoutot, La loi du sang (2014)
  • Johann Chapoutot, La révolution culturelle nazie (2017)

 



20/01/2018

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