Ma dernière note sur la tentative de banalisation du Front national venait à peine d’être mise en ligne que tombait le résultat de l’élection cantonale partielle de Brignoles. Au vu de l’onde de choc provoquée par l’élimination, au second tour, du candidat PCF-Front de gauche arrivé en tête de la gauche, conjuguée à la poussée impressionnante d’une extrême droite dont le représentant affrontera dimanche prochain la porte-drapeau de l’UMP, je veux ici compléter ma réflexion.

Il importe d’abord, à gauche, que l’on cesse de relativiser le séisme qui est en train de menacer la France. J’entends, par exemple, le porte-parole du Parti socialiste, David Assouline, nous expliquer avec une inconscience confondante : « Les électeurs de gauche sont dans l’abstention, il faut les mobiliser. » Certes, il faut… À cette infime nuance près que ladite abstention caractérise tous les scrutins partiels depuis le printemps 2012 et que sa permanence, au prix d’une accumulation redoutable de 21 Avril localisés, vaut tendance lourde. D’autant que, dans le Var aujourd’hui comme hier dans le Lot-et-Garonne ou dans l’Oise (sans parler des autres consultations où, sans exception, la gauche a mordu la poussière), le Front national se révèle la seule formation à progresser, en voix autant qu’en pourcentage.

On me dira qu’à Brignoles, cela fait trois fois que cette cantonale est disputée après invalidation, entraînant l’inévitable fatigue du corps électoral… Qu’à chacun de ces scrutins le FN s’est qualifié d’un tour sur l’autre… Que Madame Le Pen y avait recueilli le score flatteur de 28,75% à la dernière présidentielle… Et que, cette fois, la candidature d’Europe écologie-Les Verts (avec l’appui sournois de socialistes locaux contredisant l’attitude officielle de la rue de Solferino) a empêché le candidat du Front de gauche de rester dans la course. Tout cela est vrai… Mais de si peu d’importance quand on confronte ces faits à l’ampleur du glissement auquel nous sommes en train d’assister.

Ce 6 octobre, sur fond de grève des urnes observée par les deux tiers des électeurs, la gauche en toutes ses couleurs sera passée, sur deux années, de 3600 voix à… 1600. UMP et UDI n’auront même pas retrouvé, quant à elles, leur total de 2011 et 2012 (à 200 voix près). Vingt points auront in fine séparé la candidate de la droite traditionnelle de son adversaire lepéniste. Ce dernier et son dissident (l’ex-candidat frontiste tombé en disgrâce) auront pu, au contraire des reculs enregistrés par ses adversaires, affiché une progression de 596 voix (manquant d’un cheveu la majorité absolue des suffrages exprimés !)

Parlons sans détours : petit à petit, c’est le décor de la séquence électorale de l’an prochain qui se plante. La politique mise en œuvre au sommet de l’État engendre, au cœur de l’électorat qui fit la victoire de 2012, une profonde désespérance conjuguée au ressentiment inévitablement provoqué par la trahison de la quasi-totalité des promesses du candidat socialiste devenu président. La droite, dont ce sont les orientations qui sont de fait reprises maintenant, mais qui n’est nullement parvenue à effacer des mémoires l’ardoise calamiteuse laissée par ses dix ans de gestion antisociale, ne se trouve pas entraînée par une dynamique de vote-sanction qui la verrait regagner de larges pans de l’électorat. Notre Front de gauche lui-même n’est pas porté par un mouvement social qui peine à trouver le chemin de sa contre-offensive, et son projet n’apparaît donc pas, à une échelle large, en mesure de « renverser la table ».

C’est, par conséquent, les voiles du Front national qui se gonflent d’une colère dévoyée et sans cesse alimentée par le sentiment d’abandon qu’éprouvent les classes populaires. C’est toute l’habileté de son actuelle direction que de savoir, d’un même mouvement, jouer sur les peurs de la société tout en camouflant, derrière une démagogie sociale à toute épreuve, la réalité d’un programme xénophobe, destructeur des droits collectifs et négateur des principes de la République.

Lorsque pareil danger pointe à l’horizon, aucune hésitation n’est permise. Il faut faire barrage au FN, tout mettre en œuvre pour l’empêcher d’accumuler les succès électoraux, regrouper à cette fin et sans exclusive toutes les forces de la gauche. À Brignoles, ce 13 octobre, pas une voix de gauche ne doit se porter sur un parti qu’il ne faut pas laisser emporter ce canton. Mais ce front « en défense » ne saurait régler le problème auquel nous nous trouvons confrontés.

Pour faire bref, l’union sans contenu à gauche, ou pire aux conditions d’une direction socialiste qui s’évertue à relayer les choix insoutenables de l’exécutif, ne créera jamais l’espoir sans lequel nous échouerons à remobiliser notre camp. À l’inverse, l’obsession de la démarcation à tout prix du PS, avec la volonté de ne pas laisser vacant le terrain de la dénonciation d’une politique gouvernementale insupportable, pour légitime qu’elle fût et faute d’écho suffisant pour la perspective portée par le Front de gauche, risque d’approfondir des divisions dévastatrices et d’alimenter, du même coup, le climat d’impuissance dont se gorge l’extrême droite.

C’est une troisième voie qu’il convient d’explorer tant qu’il en est encore temps. Celle du rassemblement de la gauche sur une perspective alternative à l'austérité, de rupture avec la loi de la finance et des marchés. La seule qui puisse redonner confiance aux nôtres, au salariat comme plus généralement aux classes populaires. La seule, surtout, qui fût en mesure de démontrer qu’une autre politique est possible dans l’objectif de répondre aux immenses attentes montant d’un peuple en souffrance.

Des voix, dans le Parti socialiste, se sont élevés en ce sens. Je pense notamment à celle d’Emmanuel Maurel : « Si notre électorat reste à la maison plutôt que d’aller voter pour nous, c’est parce que nous ne menons pas une politique conforme à ses intérêts et ce n’est pas seulement en agitant le danger FN que nous le convaincrons. » Ou à celle de Pouria Amirshahi appelant à « changer de cap » afin d’abandonner « l’orthodoxie budgétaire impossible » et désignant sans langue de bois le problème : « Il n’y a pas de raison que les électeurs viennent à nous le temps d’une élection si, le reste de l’année, nous donnons le sentiment de ne pas aller à eux ».

Au-delà de ce qui peut me distinguer de ces camarades, je partage entièrement ces appréciations. Puissent-elles se multiplier, se transformer en force montante dans la gauche, étendre leur pouvoir de conviction au-delà de la seule aire d’influence socialiste, se montrer capables de sonner le tocsin, former avec nous le mouvement du sursaut collectif et unitaire qui imposera un changement de cap. C’est ainsi, et seulement ainsi, que pourra, sur une nouvelle offre programmatique globale, se cristalliser cette majorité aspirant à une gauche qui ne tourne plus le dos à son camp social. Il y a maintenant une extrême urgence. Au Front de gauche de savoir se mettre en mouvement au service de cette redistribution des cartes !