Vigilance Isère Antifasciste

Vigilance Isère Antifasciste

Les musulmans de France en archives et au présent (Dossier Mediapart)

En complément de nos 6èmes Rencontres Ras L' Front -Isère du 19 janvier 2013  :  "quel antiracisme, pour quel antifascisme aujourd'hui ?"


Dossier Mediapart, janvier 2013 . Les musulmans en France :

- Cinq femmes racontent l'islamophobie ordinaire  25 janvier 2013

- Comment les musulmans sont devenus indésirables en France le 12 janvier 2013
- Une première étude évalue la discrimination massive qui frappe les Français musulmans 8 avril 2010
- Les musulmans de France en archives et au présent,  21 février 2010
- A Castres, les musulmans sont écœurés par leur maire comme par le «grand débat» 16 décembre 2009

 

Et trois débats, organisés par Mediapart : 3 vidéos d'une quarantaine de minutes:

1- Musulmans en France :  Discriminations et mobilisations  Avec Zahra Ali, chercheuse, féministe, auteur du livre Féminismes islamiques (La Fabrique) ; Samy Debah, président du Collectif contre l’islamophobie; Eric Vandorpe, psychologue clinicien.

2- Musulmans en France :  Pratiques et institutions   Avec Patrick Simon, auteur de l’enquête TeO sur les pratiques religieuses des immigrés et de leurs descendants ; Nacira Guénif-Souilamas, sociologue ; Morad Aggoun, militant associatif ; Abdellali Hajjat, sociologue et politiste, auteur de Les frontières de l’“identité nationale” (La Découverte).

3- Musulmans en France : Construction d’un “problème musulman”   Avec Raphäel Liogier, politologue et sociologue, auteur du Mythe de l’islamisation (Le Seuil) ; Véronique Rieffel, directrice de l'Institut des cultures d'islam ; Houda Asal, historienne et sociologue, post-doctorante au Centre Maurice Halbwachs à l'École normale supérieure ; Marwan Mohammed, sociologue

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Les musulmans de France en archives et au présent‏

Mediapart, 21 février 2010

 

Avec son «grand débat», Éric Besson, le ministre de l'immigration, a offert une tribune inespérée à tous ceux pour qui la présence musulmane en France constitue une menace à l'égard d'une supposée «identité nationale». Entre autres, Jean-Claude Gaudin, le maire UMP de Marseille, a pu dénoncer le «déferlement des musulmans» sur la Canebière; André Valentin, le maire UMP de Gussainville, a pu déclarer qu'«il est temps qu'on réagisse parce qu'on va se faire bouffer»; Pascal Clément, ancien garde des Sceaux, a pu s'inquiéter de ce que «le jour où il y aura autant de minarets que de cathédrales en France, ce ne sera plus la France».

Diffusé mardi 23 février sur France 5, un film en forme de triptyque, Musulmans de France, vient rappeler la chronologie des faits. En retraçant le parcours de personnes venues, pour la plupart, du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne, il montre leur inscription économique, politique et culturelle dans la société française. Mêlant archives, analyses et témoignages, le documentaire de Karim Miské, Emmanuel Blanchard et Mohamed Joseph, produit par la Compagnie des phares et balises, a des vertus pédagogiques. La connotation religieuse du titre peut laisser perplexe, mais les auteurs s'en expliquent: «Qu'est-ce que ça veut dire être musulman dans la France d'aujourd'hui? Ce n'est pas forcément croire en Dieu et prier. Plutôt hériter d'une histoire écrite au fil du temps par des Berbères, des Arabes et des Noirs venus travailler ici. Voici plus d'un siècle, on les appelait indigènes, à partir des années 1960, ils deviennent des immigrés, aujourd'hui ce sont des Français.» Avec une certaine ironie, ils ont choisi de s'approprier cette catégorie en la détournant de son acception littérale. Forcément arbitraire, la décision de démarrer cette saga au début du XXe siècle a, elle, été déterminée par la disponibilité d'archives visuelles coïncidant avec l'arrivée des premiers travailleurs kabyles en 1904.

À l'occasion de la diffusion de ce film, Mediapart a sélectionné une dizaine d'images, comme autant d'étapes d'une histoire contemporaine encore méconnue.

 

Les guerres. De la participation de centaines de milliers de soldats venus du Maghreb et d'Afrique noire à la première guerre mondiale aux côtés de la France, il ne reste que peu de traces orales. Quelques films et photographies, issues principalement de l'armée, témoignent d'un enrôlement massif dès les premières heures des combats. En Algérie, les conscrits sont désignés par tirage au sort. Sur le front, l'état-major s'efforce de respecter la foi musulmane (inhumations, lieux de prière) afin, notamment, de contrecarrer la propagande allemande appelant les troupes coloniales à la révolte. Mais pour limiter les contacts avec le reste de la population, ces soldats sont forcés de passer leurs permissions dans des camps contrôlés par l'armée. Dans le même temps, des dizaines de milliers de Nord-Africains sont recrutés pour remplacer les travailleurs partis sur les champs de bataille. Ils sont affectés aux travaux de terrassements et aux usines d'armement, où ils découvrent la métropole, le monde ouvrier et leur condition de colonisés. Lors de l'armistice, le bilan est lourd: 80.000 morts parmi les soldats «indigènes» et autant de blessés. Les survivants repartent chez eux, tandis qu'une partie des ouvriers d'Afrique du Nord restent sur place, passant des usines d'armement aux grands chantiers. Des milliers d'autres, venus de l'Algérie rurale, les rejoignent, en célibataires. Déjà sollicitées en 1870, ces troupes sont de nouveau aux premiers rangs lors de la Seconde Guerre mondiale.

 

Les cafés. Entre les deux guerres, les cafés constituent le principal lieu de sociabilité des 100.000 musulmans vivant en France. On s'y retrouve pour chercher du travail, prendre des nouvelles de la famille ou se réunir politiquement. «De 1930 à 1980, l'histoire de cette immigration est inséparable de l'histoire des cafés», insiste l'historien Benjamin Stora, interrogé dans le film. Exploités, mal logés et en mauvaise santé, les ouvriers entrent en contact avec une élite anticolonialiste rassemblée autour du journal communiste Le Paria, dont l'un des fondateurs, Adelkader Hadj Ali, joue un rôle dans la vie politique française. Investi par le PC, il se présente aux élections législatives. Il échoue de peu mais fait la preuve qu'un candidat «colonial» peut être élu par des Français. Au même moment, les Nord-Africains commencent à susciter des sentiments de rejet dans une frange de la population. En 1923, la presse s'empare d'un fait divers sanglant impliquant un Algérien. Ce meurtre pousse le conseil municipal de Paris à mettre en place les premières structures de contrôle avec la création, rue Lecomte à Paris, d'une police spéciale, la brigade nord-africaine, destinée à contrôler l'immigration algérienne. Craignant le développement des idées révolutionnaires et nationalistes, elle traque sans relâche les indépendantistes menés par Messali Hadj.

 

Les mariages, la mosquée. Malgré le fichage et la répression, des liens se nouent de plus en plus fréquemment entre les musulmans et les Françaises, notamment chez les militants. Messali Hadj vit par exemple avec Émilie Busquant, une anarchiste de l'Est de la France, avec laquelle il a deux enfants. La France d'alors s'affiche résolument islamophile. La mosquée de Paris est construite pour saluer le sacrifice des troupes «indigènes». À sa tête, son premier recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit, musulman d'Algérie et haut fonctionnaire du Quai d'Orsay. «L'inauguration (le 16 juillet 1926) mobilise tout le gratin institutionnel français jusqu'au président de la République, le premier ministre Herriot et des gens qui pour la plupart étaient des radicaux, c'est-à-dire des gens qui sont plutôt hostiles à la présence religieuse dans l'espace public et ce sont eux qui ont financé et mené à terme l'édification de la mosquée de Paris», rappelle l'historien Michel Renard. «Quand Gaston Doumergue fait son discours, poursuit-il, il fait l'effort pour trouver dans les formulations religieuses musulmanes les équivalents de l'égalité, de la liberté et de la dignité des individus. On a là la tentative de trouver un terrain de valeurs communes entre la philosophie, la civilisation occidentale et la civilisation de l'islam.» En réaction à cette ligne politique, Charles Maurras écrit dans L'Action française: «Un trophée de la foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève représente plus qu'une offense à notre passé: une menace pour notre avenir.»

 

La répression. Après la Seconde Guerre mondiale, la France recrute de la main-d'œuvre dans les campagnes algériennes pour reconstruire le pays. Plus tard, des ouvriers se reconvertissent dans le commerce, en ouvrant des cafés, des épiceries, des boucheries halal ou des hôtels. Malgré cette intégration économique, l'islamophilie cède la place, dans les années 1950, à la répression. Le début de la lutte armée en Algérie se traduit, en métropole, par une guerre entre le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj et le Front de libération national (FLN) emmené notamment par Ahmed Ben Bella. De multiples attentats, partout en France, font plus de 4.000 morts. Aux yeux des autorités, les Algériens, quel que soit leur parcours, deviennent des suspects. En 1961, le préfet de police de Paris, Maurice Papon, instaure un couvre-feu pour les Nord-Africains. Pour protester, le FLN organise, le 17 octobre, une grande manifestation pacifique, réprimée dans le sang. Une centaine de personnes meurent cette nuit-là, jetées dans la Seine, battues dans le Palais des sports ou pendues dans le bois de Vincennes.

 

Les logements. D'abord venus seuls, les immigrés maghrébins sont ensuite rejoints par leurs familles. Ils vivent dans des bidonvilles, comme à Nanterre, puis sont relogés, à partir du début des années 1970 dans des cités HLM. Après avoir participé aux manifestations du Front populaire en 1936, ils défilent, pour certains, aux côtés des étudiants en 1968. Mais le logement devient leur terrain de lutte prioritaire. Après le décès de cinq Maliens et Sénégalais, asphyxiés dans l'incendie d'un taudis d'Aubervilliers, en janvier 1970, des personnalités se mobilisent. Parmi elles, Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras et Jean Genet. Lors de la grève des foyers Sonacotra, Maghrébins et Africains s'unissent contre les mauvaises conditions d'habitat. «Sur une chambre de 6m2, ils nous font payer environ 270 à 300 francs par mois. Nous, on appelle ça un cercueil», déclare un résident interrogé à l'époque à la télévision.

 

Les harkis. Pour les musulmans ayant combattu aux côtés de l'armée française, lors de la guerre d'Algérie, l'indépendance, en 1962, est synonyme de malheur plus que de défaite. Dalila Kerchouche, journaliste et écrivain: «C'était un matin et ma mère a entendu au-dessus de sa maison des avions de reconnaissance français et elle savait que le jour où elle entendait ces avions-là, c'était que l'armée était en train de partir. Et ce départ, pour ma famille, signait son arrêt de mort. Ma mère a pris ses cinq enfants sous le bras et elle est partie. Elle se rappelle qu'elle montait avec ses enfants dans les camions de l'armée française et que les soldats les faisaient redescendre.» Au total, 90.000 harkis réussissent à gagner la France. «Mes parents, poursuit-elle, quand ils sont arrivés à Marseille, ont ensuite été transférés en Auvergne, dans un camp militaire. Ils ont voyagé de nuit, il fallait les rendre invisibles, comme s'ils n'étaient pas là, il fallait les cacher (...). Mes parents ont vite compris que loin d'être accueillis comme des héros, leur vie serait plutôt sous le signe du secret, du mépris, du rejet, de la honte et de l'humiliation.» Treize ans après être arrivés en France, dans le camp de Bias, en 1975, les enfants de harkis se révoltent contre l'autorité du chef de camp. «C'était vraiment un état d'insurrection, se souvient-elle, ça a attiré l'attention des médias, des autorités locales, du préfet qui est venu, et là ce n'était plus possible de cacher cette plaie béante.» Les camps sont démantelés. «J'ai demandé à mon père, ajoute-t-elle, pourquoi il a été traité ainsi, parqué dans des camps, alors qu'il s'était battu aux côtés de la France. Il a été très surpris par ma question et m'a dit: “Tu n'as pas compris? Mais c'est parce qu'on est des Arabes!”»

 

Le racisme. Le sentiment d'exclusion gagne progressivement l'ensemble de la communauté musulmane. Dans les années 1970, les crimes racistes se multiplient, comme à Marseille où, en 1973, 12 Algériens sont tués en quelques jours, sans provoquer de réaction. À Lyon, le groupe Carte de séjour, qui chante en français et en arabe les violences policières, les discriminations et la vie dans les cités, se fait le porte-drapeau d'une jeunesse grandie en France qui peine à trouver sa place. «Le racisme, raconte le scénariste Abdel Raouf Dafri, j'ai commencé à voir les choses en grandissant, quand on ne rentre pas en boîte de nuit, quand une fille blanche bien sous tout rapport ne sort pas avec vous. Il y avait une expression dans le Nord, si une fille blanche sortait avec un Arabe, elle était étiquetée “viande à bougnoule”.» Au début des années 1980, les bavures policières finissent par provoquer l'exaspération, comme en témoigne le prêtre Christian Delorme: «On a un peu oublié ces morts violentes de jeunes qui étaient assez fréquentes. Des jeunes tués parce qu'ils s'étaient adossés à la voiture d'un voisin, parce que peut-être ils avaient cherché à voler un auto-radio, parce qu'ils faisaient du bruit. On a connu toute une période d'impunité où les magistrats étaient d'une indulgence sidérante par rapport aux auteurs de ces crimes. Il y a chez beaucoup de familles maghrébines une inquiétude très grande. Quand leur gamin sort le soir, il y a la peur qu'on vienne leur annoncer qu'il a été tué.» Au détour des «rodéos» des Minguettes en juillet 1981, la France découvre à la télévision le «malaise de banlieues» et, incidemment, que les immigrés ont eu des enfants, nés en France. La marche pour l'égalité et contre le racisme, à l'automne 1983, suscite un élan dépassant la communauté immigrée. Récupéré par SOS-Racisme et la gauche, le mouvement finit dans la désillusion sur fond de montée du Front national.

 

Les grèves. Au même moment, les ouvriers immigrés s'organisent. Au printemps 1982, une série de grèves éclatent dans les usines Talbot, Citroën et Simca de la région parisienne. Ils demandent de meilleures conditions de travail et la liberté syndicale. Le gouvernement accuse les grévistes d'être manipulés par les intégristes iraniens. Dans Nord-Éclair, le premier ministre Pierre Mauroy déclare que «les immigrés sont agités par des groupes religieux et politiques en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises». Selon Benjamin Stora, c'est à ce moment que naît l'idée d'un islam extérieur, c'est-à-dire de musulmans ne faisant pas partie de la nation française car manipulés depuis l'étranger. «Depuis la révolution iranienne, la perception de la société française à la présence musulmane a changé. On établissait tout le temps des relations plus ou moins indirectes entre l'effervescence islamiste dans le monde et les problèmes sociaux traversant la société. Ce discours de la part des politiques et des mass media a aggravé les relations entre la société et ses musulmans», indique Tarek Oubrou, imam de Bordeaux. Dans les années 1990, une minorité de jeunes se replient sur la religion. La confusion entre pratique de l'islam et islamisme est régulièrement réactivée, comme à l'été 1995 avec les attentats revendiqués par le GIA et lors du 11 septembre 2001.

 

Les révoltes et la politique. La France se découvre plurielle à l'occasion de la coupe du monde de football de 1998. Mais les émeutes de décembre 2005 rappellent aux gouvernements de droite comme de gauche qu'ils ont échoué à apporter des réponses convaincantes aux jeunes issus de l'immigration vivant dans les cités. Qu'il s'agisse d'emploi, de logement ou de représentation politique, le racisme et les discriminations continuent de traverser l'ensemble des couches de la société. Sénatrice socialiste de Paris, Bariza Khiari raconte les difficultés qu'elle a rencontrées dans son propre parti: «Le fait d'être de culture arabo-musulmane, au début, ne me posait absolument aucun problème dans mon parti. Et puis un jour j'ai postulé pour être tête de liste aux municipales dans mon arrondissement, et là, les problèmes ont commencé. C'est au sein de mon propre parti qu'on m'a rappelé mes origines (...). On m'a dit: “avec un nom comme le tien, tu vas plomber la liste”. C'est là où j'ai pris conscience qu'il y avait un vrai travail à faire au sein du Parti socialiste.» Nicolas Sarkozy nomme, en 2007, trois femmes issues de l'immigration du Maghreb et d'Afrique noire au gouvernement. «Ce qui est important, c'est la légitimité par les urnes, plutôt que le fait du prince», souligne néanmoins Bariza Khiari. Or, les élus de la diversité, selon la nouvelle expression consacrée, restent ultra-minoritaires en France, à la différence d'autres pays européens.



26/01/2013

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