Vigilance Isère Antifasciste

Vigilance Isère Antifasciste

Protéiformes, les droites dures prospèrent dans toute l’Europe (Mediapart, 3 septembre 2018)

/  Par Amélie Poinssot et Donatien Huet

 

 

Avec près de 20 % d’intentions de vote, les Démocrates suédois, parti xénophobe né en 1988, sont annoncés comme les grands vainqueurs des législatives de ce dimanche 9 septembre en Suède. Le royaume scandinave va-t-il prendre le chemin observé aux scrutins de ces deux dernières années en Italie, en Allemagne, en France, en Autriche et aux Pays-Bas ? Dans chacun de ces pays, l’extrême droite a fortement progressé en voix et en visibilité, jusqu’à gagner, à Rome et à Vienne, l’accès au pouvoir.

D’une contrée à l’autre, toutefois, l’extrême droite n’a pas les mêmes contours. Parfois, ce que l’on pourrait qualifier chez nous d’extrême droite correspond simplement à la droite d’un échiquier national. À certains endroits, le registre de l’extrême droite est surtout déterminé par un discours antisystème ; ailleurs, elle joue avec un sentiment national qu’a longtemps étouffé une histoire dominée par des puissances extérieures. Mais partout, elle repose sur une hostilité, plus ou moins affichée, à l’étranger, à l’Autre, à celui qui est différent.

Pour s’y retrouver, Mediapart a classifié l’ensemble de ces droites dures présentes dans les parlements et les exécutifs des États membres de l’Union européenne. Nous avons retenu six catégories :

  • l’extrême droite, qui correspond à l’extrême droite traditionnelle et s’est construite sur un discours xénophobe ;
  • la droite souverainiste, qui met l’accent sur la remise en cause du fédéralisme européen et la volonté de redonner du pouvoir aux États, et qui peut aller jusqu’à la volonté de sortir de l’UE ;
  • la droite nationaliste ou identitaire, qui met l’accent sur la défense des nationalités dans une logique d’opposition avec des peuples voisins, ou dans le sens de la défense d’une identité blanche et chrétienne face à l’islam ;
  • la droite autoritaire, dont le credo principal est de réformer les institutions dans un sens antidémocratique et de limiter les contre-pouvoirs ;
  • la droite néofasciste ou néonazie qui, au-delà d’une xénophobie affichée, use de la violence et de codes faisant clairement référence aux régimes fasciste et nazi ;
  • la droite indépendantiste, qui met l’accent sur la volonté d’autonomie d’une région à l’intérieur d’un même pays.

Les catégories de droites dures sont illustrées par six couleurs différentes. La dimension des bulles est pondérée en fonction du poids de leur représentation au sein des actuels parlements nationaux. Survolez les pays pour en savoir plus.

© Mediapart. Code : flourish.studio.

 

Ces catégories peuvent paraître réductrices, parfois même artificielles dans le sens où certaines droites extrêmes cumulent les caractéristiques. Mais ce qu’elles montrent, c’est que les droites radicales ont des formes différentes sur l’ensemble du continent européen, en raison des diverses histoires nationales, systèmes électoraux et dates d’entrée dans l’UE.

Au-delà de ces différences, la carte et le graphique des résultats électoraux (voir ci-dessous) montrent une progression générale des forces d’extrême droite et de droite radicale dans la majorité des pays européens. Dans la plupart des cas, cette croissance se fait parallèlement à une érosion des forces sociales-démocrates. C’est particulièrement vrai dans les pays scandinaves, mais aussi en France, en Italie et en Allemagne.

À la différence de la carte interactive, cette infographie sous forme de « small multiples » montre les scores cumulés des seules formations d'extrême droite lors des cinq derniers scrutins législatifs, et ce pour chacun des Vingt-Huit. La liste des partis qui sont pris en compte – près d'une centaine – est consultable en Boîte noire.

© Mediapart. Code : flourish.studio.

 

Cette croissance est alimentée par plusieurs facteurs. On relèvera notamment l’opposition aux mouvements migratoires (mouvements intra-européens provoqués par l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale en 2004 et mouvements extra-européens dont le point d’orgue a été la vague d’arrivées de réfugiés en 2015), mais aussi, à partir des attentats en France et en Allemagne en 2015, le repli sur soi face au danger terroriste. Autre tendance qui favorise les droites radicales : le discours simpliste anti-UE dans un contexte d’économie mondialisée, où le bouc émissaire est tout trouvé.

Enfin, on ne peut comprendre la progression de ces forces brunes sans mentionner le contexte de crise économique et d’appauvrissement de certaines populations, comme ce fut le cas, de manière particulièrement brutale, en Grèce et aujourd’hui en Italie. La première a ainsi vu, en plein cœur de la crise, arriver au Parlement ce qui n’était alors qu’un groupuscule d’agitation néonazie : Aube dorée.

Tout au long de ces années, il ne s’agit pas seulement d’une progression en termes de voix et de représentation. Il s’agit aussi d’une ascension qui va jusqu’au pouvoir exécutif. L’extrême droite arrive en position de participer à un gouvernement dans trois pays membres de l’UE (Autriche, Italie, Bulgarie) ; tandis que dans d’autres pays, la droite radicale soutient l’exécutif par ses votes au Parlement (Danemark), ou participe elle aussi au travers d’une coalition (Belgique, Pologne, Hongrie, Slovaquie).

La droite conservatrice se radicalise

Mais au-delà de ces coalitions ou soutiens politiques, ce qui caractérise le continent aujourd’hui, à quelques mois des élections européennes prévues en mai prochain, c’est l’appropriation par la droite conservatrice classique des idées nationalistes, xénophobes, souverainistes et autoritaires. Certains membres de ces partis historiques, comme la CSU allemande, Les Républicains français, le PP espagnol ou le ÖVP autrichien tiennent aujourd’hui le même discours que l’extrême droite de leur pays.

Ce déplacement du curseur – soit dans une tentative de couper l’herbe sous le pied de partis considérés comme concurrents (stratégie payante dans le cas du Fidesz hongrois vis-à-vis du Jobbik, ou des conservateurs britanniques vis-à-vis de Ukip), soit par conviction idéologique (une partie des conservateurs autrichiens ou du camp LR en France, ou encore le PiS polonais) – ne fonctionne pas toujours : la CSU allemande, qui joue aujourd’hui sur le terrain de l’AfD, n’est pas assurée de maintenir son score lors des élections de Bavière du 14 octobre. En Autriche, le rapprochement des deux discours a eu pour effet de faire passer pour un partenaire de coalition acceptable l’extrême droite du FPÖ.

Ce type d’alliance avec une formation autrefois infréquentable est aussi favorisé par des paysages politiques de plus en plus brouillés, où les élections débouchent sur des parlements sans majorité. Ainsi, même un parti de gauche (Syriza en Grèce) s’est retrouvé à gouverner avec une droite souverainiste (ANEL).

La Grèce a longtemps fait figure d’exception en Europe avec l’Espagne et le Portugal : ces trois pays n’étant sortis de la dictature que dans les années 1970, l’extrême droite parlementaire n’y perçait pas. C’est encore le cas dans les deux pays de la péninsule Ibérique même si, en Espagne, des groupuscules d’extrême droite existent localement, et que le discours du Parti populaire (PP), premier parti au Congrès par le nombre de députés, est en train de s’infléchir. Comme d’autres droites en Europe, il est encouragé dans une dérive droitière antimigrants, mais aussi contre le travail mémoriel post-Franco. Il a par ailleurs réagi par la méthode répressive aux aspirations indépendantistes de la Catalogne et pourrait être tenté par un retour en arrière sur le droit à l’avortement.

Pablo Casado, président du PP espagnol, le 1er août à Algésiras, en Andalousie. © Reuters

 

À l’autre extrémité de l’Europe, en Suède et en Finlande, l’extrême droite n’existait pas non plus dans le paysage jusqu’à une date récente. Les mal nommés Démocrates de Suède ainsi que les Vrais Finlandais ne sont entrés au Parlement que respectivement en 2010 et en 2011.

Autre pays qui a longtemps été un rempart contre l’extrémisme : le Royaume-Uni, qui a vu émerger l’extrême droite pendant cette dernière décennie ; d’une part avec le BNP (Parti national britannique), qui reste toutefois trop marginal pour pouvoir faire élire des députés (il n'a eu qu'un élu qu’au Parlement européen). D’autre part avec le Ukip (Parti de l’indépendance du Royaume-Uni), qui siège au Parlement européen depuis 2009, a eu un député à la Chambre des communes de 2015 à 2017, et a grandement pesé dans la période préalable au référendum sur le Brexit. Même tendance à Malte, qui a vu apparaître en 2016 le Mouvement patriotique maltais – lequel n’est pas encore représenté au Parlement.

De petits partis extrémistes qui prennent une grande place dans le débat public : c’est aussi ce que l’on retrouve aux Pays-Bas, où la formation souverainiste GeenPeil, qui n’a pas de représentation parlementaire, est à l’origine, entre autres, du référendum contre l’accord d’association UE-Ukraine en 2015.

 

Parallèlement à l’émergence de ces nouveaux groupes politiques, on observe une forme de banalisation des partis extrêmes. À l’image du RN français (ex- Front national), plusieurs droites dures du continent ont développé une stratégie de normalisation et s’efforcent de tout faire pour rentrer dans le système, quand bien même le discours affiché est antisystème. C’est le cas de DF au Danemark, qui devient « le pivot de tous les gouvernements de droite de 2011 à 2011 », pour reprendre les mots du chercheur Cyril Coulet, spécialiste des pays nordiques, dans l’ouvrage collectif L’Extrême Droite en Europe (La Découverte, 2014).

Dans de nombreux pays, les extrêmes droites se sont par ailleurs recomposées au fil des années. En Allemagne, l’AfD – qui a fait une entrée spectaculaire au Bundestag l’an dernier après avoir commencé à s’implanter, en 2014, dans les parlements régionaux – a pris la place du NPD (Parti national-démocratique d’Allemagne), surfant ces derniers jours sans vergogne sur les événements de Chemnitz. Dans les pays d’Europe centrale qui ont connu une structuration récente de l’espace politique, après leur sortie du communisme en 1989, ces changements de personnes et d’étiquettes pour occuper un même espace politique se sont produits à maintes reprises.

Ainsi en Hongrie, avant le Jobbik, il y a eu le MIEP (Parti hongrois de la justice et de la vie), lequel disparaît progressivement après la mort de son fondateur en 2012. En Pologne, c’était la LPR (Ligue des familles polonaises) qui occupait le terrain de l’extrême droite traditionaliste tout au long des années 2000, suivie par le KNP (Congrès de la nouvelle droite), puis Wolno?? (Liberté) – tous deux autour de la figure de Janusz Korwin-Mikke, député européen qui a été suspendu pendant dix jours l’an dernier en raison de propos sexistes tenus dans l’hémicycle.

Des groupuscules extraparlementaires se dévoilent

En Grèce, c’est la crise économique, à partir de 2010, qui bouleverse complètement l’échiquier politique. L’extrême droite traditionnelle, LAOS (Alarme populaire orthodoxe), s’efface ainsi après une éphémère participation dans un gouvernement d’« union nationale » en 2011-2012. C’est à ce moment-là qu’émergent les néonazis d'Aube dorée.

Notons enfin que dans certains pays, le registre de l’extrême droite recoupe des problématiques régionales ou la question des frontières et du voisinage avec d’anciens ennemis. L’extrême droite devient alors le catalyseur d’un nationalisme exacerbé. On peut retrouver là l’exemple de la Plateforme pour la Catalogne, qui certes n’est pas entrée au Parlement espagnol mais est active au niveau local. Dans les pays baltes (opposition à l’ancien occupant russe) ou les anciens membres de la Yougoslavie (Croatie, Slovénie), les droites nationalistes ont ainsi un fort ressort identitaire.

Au-delà de toutes ces nuances, on observe que dans la plupart des pays, qu’il y ait ou non des communautés issues de l’immigration, l’opposition au multiculturalisme se mue aujourd’hui en une obsession anti-islam. C’est sur ce point que converge l’ensemble des droites dures, de l’ouest à l’est du continent.

Une manifestation anti-islam à Lodz (Pologne), en septembre 2015. © Reuters

 

Dans ce sombre tableau, on relève cependant quelques exceptions : dans certains pays d’Europe orientale, l’extrême droite a eu plutôt tendance ces dernières années à reculer ou à rester cantonnée à un activisme extraparlementaire. C’est le cas de la Roumanie notamment, où le Parti de la grande Roumanie, qui a eu jusqu’à 84 députés dans les années 2000, n’en a plus fait élire aucun aux trois derniers scrutins. Plus récent, le Parti Roumanie unie, conservateur et nationaliste, n’est pas davantage représenté au Parlement de Bucarest.

À vrai dire, en Roumanie comme en Slovaquie, les repères sont brouillés : les partis sociaux-démocrates au pouvoir mènent, dans le fond, une politique qui les rapproche des droites identitaires, dans la mesure où ils se sont fermement opposés au programme de répartition des demandeurs d’asile en Europe. Ce sont aussi des partis gangrénés par la corruption, ce qui a suscité un certain nombre de manifestations dans la rue.

Dans leur ouvrage Les Droites extrêmes en Europe, les chercheurs Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg soulignent, à propos de ces régions d’Europe centrale et orientale : « La question centrale y est celle de la définition de la nation, l’ethnonationalisme n’étant ici nullement réservé à l’extrême droite. Dans cette partie du continent, il est globalement admis que la nation est un fait organique découlant d’une triple appartenance : au groupe ethnique, à la nation historique, et à la communauté religieuse. »

Plus loin, ils avancent, pour expliquer la difficulté des extrêmes droites de ces régions à se stabiliser à moyen terme : « Une des raisons est l’incorporation dans le discours et les pratiques des partis mainstream du sentiment nationaliste et irrédentiste, du discours anti-Rom et critique envers l’Union européenne. »

 

Au fond, aujourd’hui, les différences s’amenuisent entre les extrêmes droites traditionnelles, qui depuis des années ont entrepris une « dédiabolisation » – pour reprendre le terme employé par Marine Le Pen elle-même – et les droites radicales qui, pour certaines, proviennent de partis de droite classique qui se sont durcis dans l’exercice du pouvoir et dans un contexte géopolitique changeant. Le Fidesz hongrois, dont le leader Viktor Orbán a scellé fin août une nouvelle alliance avec le très xénophobe ministre de l'intérieur italien Matteo Salvini, et le PiS polonais sont les meilleurs exemples de ce raidissement.

Ces partis siègent d’ailleurs de manière différenciée au Parlement européen, où les découpages des groupes politiques recèlent des incohérences qui seront peut-être levées après les prochaines élections européennes, en mai 2019 – bien que ce ne soit pas du tout évident à l’heure actuelle. L’appartenance du Fidesz au Parti populaire européen (PPE, premier parti au Parlement) est à cet égard symptomatique, tout comme les tendances radicales qui se sont développées au sein des poids lourds de cette droite classique européenne : l’aile bavaroise de la CDU/CSU, une partie des conservateurs autrichiens comme des Républicains français.

 

Nous n’avons recensé sur cette carte que les formations parlementaires. Mais dans de nombreux pays, des formations extraparlementaires font vivre de leur côté les pires idées xénophobes et révisionnistes, et ces groupuscules sont aussi en progression. C’est le cas en Italie des formations néofascistes CasaPound, Lealtà Azione (« Loyauté Action ») et Forza Nuova (« Force nouvelle »). C’est le cas aussi en Suède et au Danemark, où coexistent plusieurs groupuscules d’extrême droite ou néonazis. En Lettonie enfin, des néonazis paradent toujours tranquillement sans être inquiétés : chaque année, le 16 mars, une marche de l'unité des Waffen-SS lettons rend hommage aux officiers qui ont servi la patrie contre l'envahisseur russe.

 

 

 



06/09/2018

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