Le problème majeur du livre de M. Yildiz est qu'il ne contextualise ni ne commente l'"Appel contre les ratonnades anti-Blancs" qui sert de socle à l'essai, sauf à présenter Alain Finkielkraut, Pierre-André Taguieff et Bernard Kouchner comme des figures "souvent classées à gauche" (p. 9) et à dater ledit appel de 2008 (p. 55) alors qu'il fut en réalité lancé en 2005 !

L'appel lui-même est parcouru d'amalgames en tous genres. Il assimile deux débordements violents mais fort dissemblables lors de manifestations, le premier contre quatre jeunes juifs du mouvement Hachomer Hatzaïr lors d'un défilé contre la guerre en Irak (26 mars 2003), l'autre presque exactement deux ans plus tard, lors d'une mobilisation lycéenne contre la loi Fillon, où des jeunes Parisiens ont été mis par terre et agressés par des jeunes de banlieue dans le but de voler leurs téléphones portables. Le premier événement a délibérément ciblé des juifs, le second relève d'un acte de délinquance, même si l'appartenance raciale "blanche" a peut-être été invoquée par les agresseurs. Aucun blessé grave n'a heureusement été à déplorer, ni en 2003 ni en 2005. Pourtant, l'appel parle pour 2003 de "tentative de lynchage, en plein Paris", et pour 2005 de ce "qu'on peut appeler des 'ratonnades anti-Blancs'".

En procédant de la sorte, il exagère la gravité des faits en leur conférant une dimension tragique et unilatéralement raciale, puisqu'il évoque les lynchages aux Etats-Unis et ratonnades pendant la période coloniale en Afrique du nord. Surtout, le procédé rhétorique inverse le rapport majorité-minorité : il arrive désormais que les Blancs, en France, soient démographiquement minoritaires, comme les Noirs outre-Atlantique, ou bien qu'ils constituent une majorité démographique, certes, mais qui survit sous la férule d'une minorité ayant pris le pouvoir, comme les Arabes dans l'Algérie coloniale, victimes des "ratonnades" de la minorité européenne. Quoi qu'il en soit, les Blancs ou Français sont devenus citoyens de seconde zone dans leur propre pays : c'est aussi en cela qu'il faut comprendre la sortie de M. Copé, qui fait écho à des propos semblables des Sarkozy ou Guéant.

Chez les personnes qui lancent l'appel, l'inversion minorité-majorité permet en outre de poser en intellectuels critiques qui "disent la vérité au pouvoir au nom des opprimés". Sans oublier que le risque réel d'être instrumentalisé par le Front national (Bruno Gollnisch exploita le filon dès le lendemain de l'appel dans Le Monde) permet de poser en martyr idéologique au nom de la Vérité. Ou, pour citer l'appel : "Ecrire ce genre de textes est difficile parce que les victimes sont kidnappées par l'extrême droite."

En réalité, le "racisme anti-Blanc" n'est qu'une illustration relativement récente du galvaudage que ce terme de "racisme" a pu subir, et qu'ont pu déplorer Claude Lévi-Strauss, Robert Miles ou Gérard Noiriel plus récemment. "Racisme" surtout renvoie à des situations bien réelles d'oppression dans l'histoire, notamment coloniale. Lorsqu'un écolier prénommé Mohamed est appelé "Sale Arabe", l'effet, compte tenu de ce poids historique, ne peut pas être le même que lorsqu'un Sébastien est appelé "Sale Céfran", "Gaulois" ou "Gouar". Il ne s'agit pas du tout de nier ou de minimiser les brimades ou insultes dont peuvent être la cible des Français blancs et non-musulmans, et la souffrance qui peut en résulter chez des collégiens, mais tout simplement de rappeler l'influence considérable d'un héritage colonial et postcolonial douloureux, qu'ont notamment intériorisé les enfants d'immigrés du Maghreb, qu'ils aient étudié ou non l'histoire de leur pays d'origine.

Certains sociologues préfèrent appeler "contre-racisme" ce "racisme anti-Blanc" cher à messieurs Copé et Finkielkraut. Ce choix est de bon aloi, premièrement car il ne nie pas l'existence d'une profonde hostilité contre les "Blancs" dans certains quartiers, deuxièmement et surtout parce qu'il y voit une réaction résultant d'un racisme réel ou perçu émanant de la majorité. Car le principal problème de l'expression "racisme anti-Blanc" est bien qu'il naturalise une hostilité considérée comme viscérale et endémique d'"immigrés" scandaleusement ingrats envers la France, oblitérant de ce fait tout le champ complexe des causes historiques, sociologiques, politiques et économiques : discriminations sur le marché du travail, politique du logement, politique d'éducation, stigmatisation policière pour ne citer qu'elles. Loin donc de susciter un débat après avoir brisé un "tabou" pas si tabou que cela, l'expression dit la stigmatisation et empêche de penser un vrai problème.

Article paru sur le site Internet du Monde le 1er octobre 2012