Vigilance Isère Antifasciste

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Toulon, Vitrolles, Marignane, Orange : quand l'extrême-droite est à la mairie

Les Inrocks, 11 octobre 2012 par Stéphanie Marteau:

Toulon, Vitrolles… le FN à l’épreuve du pouvoir

Marignane, Vitrolles, Toulon… autant de municipalités tombées aux mains du FN dans les années 90. Mais de gestions calamiteuses en affaires, il n’a pas réussi à s’y maintenir. Reportage.

 

La nuit tombe sur l’ancienne place Nelson-Mandela de Vitrolles. Des ados traînent à l’arrêt de bus. Il y a quinze ans, cette place a été rebaptisée “place de Provence”. Ils ne s’en souviennent certainement pas. À l’époque, Catherine Mégret, doublure lumière de son mari Bruno (alors n° 2 du FN), dirigeait la ville et donnait aux rues les noms des figures du Front. Trop jeunes aussi pour se souvenir du 9 février 1997, de la joie terrifiante des skinheads quand ils ont compris que l’extrême droite, ce soir-là, avait conquis la mairie. Aucun d’entre eux n’a entendu parler de la virée en 4×4 des crânes rasés à la Cité des Pins, où réside la majorité de la population d’origine maghrébine de Vitrolles.

“Ils tournaient avec un mégaphone et braillaient ‘Faites vos valises ! Demain, vous dégagez !”, se souvient Pascal Bianco, ado à l’époque.

“Le FN, c’est comme une flamme, il faut la toucher pour sentir la douleur”

À peine élu, le Front donne le ton. Les époux Mégret veulent faire de leur ville un laboratoire. Ils réservent les emplois municipaux – et les HLM – aux “Vitrollais français”, décrètent la fin des repas de substitution sans porc dans les cantines scolaires, remplacent les éducateurs par des policiers. Pour avoir réservé la prime de naissance aux seules familles françaises, Catherine Mégret sera condamnée par la justice en 2000. Mais l’idéologie frontiste s’est propagée dans toutes les strates de la ville. Sofia Touzaline, 35 ans, chef de projet dans un groupe international à Paris, en a fait les frais. En juin 1997, une secrétaire du lycée Pierre-Mendès-France avait refusé d’inscrire cette jeune fille née en France de parents algériens.

“Moi, je n’avais pas pris au sérieux l’arrivée du FN, admet aujourd’hui sa mère, Lila, assise à l’ombre d’un figuier dans son jardin. En fait, c’est comme une flamme, il faut la toucher pour sentir la douleur.”

À l’époque, la secrétaire du lycée, raciste, était déjà défendue par un certain maître Gilbert Collard… Jimmy Cerdan est une autre “victime” des années Mégret. L’un des animateurs du Sous-Marin, une salle de concerts qui appartenait à la mairie, mais qui servait de camp de base à tous ceux qui voulaient en découdre avec les skins. Un lieu symbole de résistance, animé par des jeunes engagés à Ras l’Front et soutenu par Noir Désir et Louise Attaque. Les Mégret l’ont fait fermer en 1997. Et voilà quinze ans que Jimmy, cheveux longs et tatouages, n’y est pas redescendu. Mais à la différence de Sofia, lui est resté à Vitrolles, malgré les souvenirs.

“On se faisait fracasser par l’extrême droite, se souvient le rockeur. Un jour, on s’est retournés vers les CRS, pour qu’ils interviennent. Leur chef m’a regardé dans les yeux et m’a dit : ‘Mais t’as pas compris que le FN a gagné et que le FN, c’est nous ?”

Ambiance. Six ans durant, la violence attise la violence. “En 1998, on est rentré dans le local du FN avec des machettes”, se souvient un ancien de Ras l’Front. Son petit frère, 17 ans à l’époque, “avait trois fusils à pompe dans sa chambre”. Aujourd’hui, ils en rigolent comme si c’était de l’histoire ancienne. Et croisent leurs ennemis d’hier, le samedi, au Leclerc.

 

Le passé ne passe pas

Vitrolles est la seule ville où le PS a succédé au FN. Pourtant, “la bête n’est pas morte”, estime Pascal Bianco, élu PC à la mairie. En mars 2009, sept ans après le départ de Catherine Mégret, Richard Dubré, secrétaire de la section de Vitrolles du PCF, s’est fait poignarder par des gros bras du FN varois. “Guy Obino, qui a succédé aux Mégret, a préféré acheter la paix sociale et n’a pas voulu faire de chasse aux sorcières, raconte un élu. Pareil pour Loïc Gachon, son successeur (PS) depuis 2010. Résultat, il a maintenu une cinquième colonne dans certains services.” Par exemple dans les rangs de la police municipale comme l’ont constaté les membres du CHSCT lors de leur tournée, il y a deux mois. “Les mecs ne se cachent pas. Il y a des stickers, des tracts de l’extrême droite sur les casiers.”

À la voierie, les cantonniers assument leurs sympathies : on trouve toujours des autocollants “Vitrolles-en-Provence” (ainsi que les Mégret avaient tenté de rebaptiser la ville). Sébastien, militant communiste, a été “exfiltré” du service en juin dernier après un mois de dépression. Ce n’est pas tout : d’anciens élus FN, passés au MNR puis ralliés à l’UMP siègent aujourd’hui au conseil des sages de Vitrolles, comme Norbert Rodriguez. Bref, le passé ne passe pas.

 

La marque indélébile d’une honte collective

Idem à Toulon, seule municipalité de plus de 100 000 habitants passée au Front, en 1995. Une ville militaire qui, dans les années 60, a accueilli 300000 pieds-noirs, maintenus dans la nostalgie. “Le soir où Jean-Marie Le Chevallier a gagné, j’ai fait 96 télés”, se souvient Robert Gaïa, à l’époque député socialiste du Var et élu d’opposition à Toulon. Dix-sept ans plus tard, il ne reste selon lui des années FN que la marque indélébile d’une honte collective : “Les Toulonnais en vacances évitaient de régler par chèque. Quand on voyait leur adresse, ils se sentaient obligés de se justifier.” L’ex-député socialiste, grande gueule et rigolard, retient aussi l’hystérie ambiante qui régnait dans son camp, “la diabolisation stérile qui avait pris le pas sur le débat politique”, juge-t-il en remuant une menthe à l’eau. À Toulon, le FN est tombé à la fin de son premier mandat, tué par la médiocrité de sa gestion.

Ici, en quelques mois, Le Chevallier a organisé le démantèlement du Théâtre national de la danse et de l’image de Châteauvallon, transformé la Fête du livre en une manifestation réservée aux auteurs d’extrême droite. Le 21 avril 1996, il en interdit l’accès à Marek Halter. Parallèlement, l’équipe Le Chevallier, frappée de délire pastoral, finance le folklore local et les fêtes régionalistes, dans la plus pure tradition pétainiste. Elle supprime les subventions alors accordées à Aides, au Secours populaire, à la Fédération des œuvres laïques, aux centres aérés, mais arrose Les Amis des chats, qui reçoivent 40 000 francs. Adjointe à la Jeunesse, Cendrine Le Chevallier, l’épouse du maire, a englouti près de 70 % de son budget dans Les Jeunesses toulonnaises, l’association qu’elle préside alors. Histoire de visser les enfants à leur sol natal : “Quand les éducateurs leur proposaient des ateliers ‘maisons du monde’, l’adjointe passait derrière en exigeant que l’on dessine plutôt des châteaux forts…”, se souvient un animateur.

“L’organisation était devenue la pompe à embauche non seulement des cousins et des amis, mais de tous les soldats sans solde du FN, qui venaient, en bataillon, toquer à l’huis”, raconte Alain Parisot, qui dirigeait à l’époque la Ligue de l’enseignement dans le département.

L’association fait très vite faillite et laisse derrière elle une ardoise de quinze millions de francs (environ 2,3 millions d’euros). En 1999, les époux Le Chevallier seront condamnés à huit mois de prison avec sursis pour complicité d’abus de confiance.

La gestion calamiteuse de la ville doit beaucoup à l’équipe qui entoure alors le maire. “Des aventuriers de la politique” qui, en 1995, ont été les premiers surpris de se retrouver aux manettes. Le Chevallier s’appuyait énormément sur le plus “carré” de la troupe, son directeur de cabinet, Jean-Claude Poulet-Dachary, un ancien légionnaire monarchiste et maurassien. Mais au mois d’août 1995, le cadavre de ce dernier est retrouvé au bas de la cage d’escalier de son immeuble, la boîte crânienne enfoncée. L’enquête révèlera qu’il a été assassiné par son amant, bien que Le Chevallier ait jusqu’au bout essayé de faire croire à un règlement de comptes politique. Pour l’édile, c’est plus qu’une perte tragique. Les cadres de catégorie A et les fonctionnaires territoriaux ayant pris la fuite, il va passer le reste de son mandat à gérer une “pagnolesque troupe de pinocchios”, dixit un ancien élu de droite. Parmi eux, Richard Lopez, un adjoint au maire qui s’est fait sauter la main un dimanche de mars 1996, chez lui, avec une grenade. En bon nostalgique de l’OAS, il possédait tout un arsenal. Ou Jean-Pierre Calone, premier adjoint et ex-président de l’office HLM Toulon-Habitat, condamné en mai 2000 à douze années de réclusion criminelle pour des viols commis sur cinq de ses employées. “Au final, il y avait peu de vrais fachos, mais beaucoup de bras cassés”, tranche Robert Gaïa.

 

“C’est vrai qu’ici, le fait d’être raciste est considéré comme une opinion, pas comme un délit”

“Ici, le FN s’est déconsidéré”, estime Alain Parisot, installé dans un bureau de la Fédération des œuvres laïques à la façade couverte de tags. Aux municipales de 2001, l’UMP Hubert Falco est passé dans un véritable raz-de-marée, et il n’a eu qu’à surfer pour conserver la mairie en 2008. Dans les cafés, les habitants se plaignent pourtant d’une ville sans tramway, sans fac digne de ce nom… Le Front, malgré ses échecs, pourrait revenir : “Il y a eu le vaccin, mais il n’y a pas eu le rappel, prévient Patrice Maggio, journaliste à La Provence. S’il y avait une défaillance politique, si la ville se sentait abandonnée, le FN, notamment chez les jeunes, referait de gros scores.”

“C’est vrai qu’ici, le fait d’être raciste est considéré comme une opinion, un point de vue, certainement pas comme un délit”, reconnaît Parisot. Dans le Var, comme dans le Vaucluse ou les Bouches-du-Rhône, les thèses de l’extrême droite ont essaimé sans trop de peine.

“Le front républicain, le cordon sanitaire qui isolait autrefois les élus frontistes n’existe plus. Leurs idées sont ancrées dans la société et l’UMP, depuis que Nicolas Sarkozy a fait sauter le tabou, est poreuse, observe la politologue varoise Virginie Martin, auteur de plusieurs ouvrages sur le FN. Pour s’épanouir, l’extrême droite peut compter sur des complicités à droite, notamment chez les élus de la Droite populaire, avec qui elle peut se répartir les mandats.”

Seul exemple d’ancrage local réussi, Jacques Bompard, maire d’Orange (Vaucluse) depuis 1995 : un cas d’école. Après avoir remisé son étiquette FN au placard, puis celle du Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers, Bompard arbore les couleurs de sa propre formation, la Ligue du Sud. C’est sous cette bannière qu’il vient d’être élu député, en dépit d’un rapport de la Chambre régionale des comptes de 2011 qui l’épingle sérieusement : entre 2001 et 2010, lui et sa femme se seraient – entre autres – offert une vinothérapie, des soins en spa, de la literie, des crèmes autobronzantes, un séjour en Autriche ou des cigares sur le dos du contribuable. Qu’importe. “Depuis 1995, le maire a pris tous les mandats, se félicite Xavier Magnien, son neveu et directeur de cabinet. On s’est transformés, adaptés, et on a pris de l’ampleur.” Sur la place de la mairie, ce quadra aux yeux bleu glacier et costume cintré joue sans ambages la carte du clientélisme (créneaux horaires réservés aux vieux et aux militaires à la piscine municipale), et récuse toute idéologie. “Jacques Bompard n’a pas fait du FN, parce qu’on ne peut pas faire du FN ! Notre politique repose sur la sécurité, la propreté et l’assainissement des finances. C’est ce qu’attendent les gens, on est pragmatiques.”


Politique anticulture et antisociale

Comme dans toute bonne municipalité FN, l’équipe Bompard a mené une politique anticulture (les Chorégies ne doivent leur survie qu’aux subventions versées par le ministère de la Culture) et antisociale (les Restos du coeur et le Secours populaire ont vu leurs subventions divisées par trois en dix ans et la politique de la ville est inexistante). Le patron du magasin de vêtements Couleur Indigo, niché dans une rue commerçante qui borde la mairie, n’a pas l’air de s’en émouvoir. Son père, Pierre Roulph, a été le premier adjoint de Bompard avant de devenir son pire ennemi. Le grand brun à mâchoire carrée ne veut pas parler de politique, mais lâche, sans s’arrêter de ranger, qu’il “n’a pas de téléphone portable, vend comme sa grand-mère et retouche comme son grand-père”. On comprend le message.

Jacques Bompard connaît sa ville, endormie et vieillotte et l’extrême droite salue le succès de cette “stratégie d’enracinement”. Bompard est cité en exemple par Bruno Mégret. Le Bloc identitaire y organisera une convention et y fêtera ses dix ans en novembre. On est loin de “l’affranchissement” par rapport au Front. D’ailleurs son n° 2 à la Ligue du Sud, Hervé de Lepinau, est le suppléant de la toute jeune députée FN du Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen.

Valse des étiquettes et alliances de circonstances. On connaît ça, à Marignane, qui abrite l’aéroport le plus proche de Marseille. La ville a été dirigée par Daniel Simonpieri de 1995 à 2008. Point saillant de son action, hors fausses factures et emplois fictifs pour lesquels il a été condamné en 2011 : la suspension des abonnements à Libération et à La Marseillaise pour la bibliothèque municipale, remplacés par de la littérature d’extrême droite… Successivement FN, MNR et UMP, il est finalement battu par le divers droite Éric Le Dissès en 2008. Les choses auraient dû changer. Pourtant, lorsqu’une association de pieds-noirs, l’Adimad (Association amicale de défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française) réclame le retour d’une stèle érigée en 2005 en mémoire des combattants de l’OAS, et retirée en 2008 à la demande de la préfecture, Le Dissès dit… “Oui”. “C’est à ce moment-là que j’ai déménagé”, sourit Virginie, une blonde trentenaire.



17/10/2012

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