Vigilance Isère Antifasciste

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"Derrière les lignes du Front National. Immersions et reportages en terre d’extrême droite" par Jean-Baptiste MALET

Jean-Baptiste MALET, Derrière les lignes du Front National. Immersions et reportages en terre d’extrême droite

Villeurbanne, Editions Golias,  septembre 2011, 270 pages, 15 euros.

Suite à ce livre-enquête, JB Malet est le co-auteur du film  : "Mains brunes sur la ville", sortie 21 mars 2012. Un film contre-feux face à l'extrême-droite

 

Voir  aussi, dans L'Humanité, 10 janvier 2012, entretien avec JB Malet : "Le Front national n'est fort que des faiblesses de la gauche"

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Article de Saint-Just, sur le site  toulonnais CUVERVILLE :

Derrière les lignes du Front : un livre de Jean-Baptiste Malet

vendredi 14 octobre 2011
par Saint-Just

Derrière les lignes du Front. À lire le sous-titre du livre, « Immersions et reportages en terre d’extrême droite », on se doute que l’on va se frotter aux nostalgiques du Troisième Reich ou aux tenants du discours lepéniste qui s’est imposé depuis les années 1980. Jean-Baptiste Malet, l’auteur de l’ouvrage en question, nous amène plus loin et nous montre les évolutions au sein de la famille nationaliste.

J.-B. Malet souhaite par ce livre montrer « l’envers du décor » de l’extrême droite française. Il ne s’agit pas pour lui de faire œuvre d’histoire ou de sociologie. DERRIèRE les lignes du Front n’est pas non plus un essai de sciences politiques. L’auteur a écrit en tant que journaliste, sans se cacher, ni au lecteur ni auprès des militants avec qui il s’est entretenu. Les dialogues qu’il a retranscrits dans cet ouvrage sont criants de véracité.

De la bête immonde au monde si bête

La livre de J.-B. Malet commence par le testament de Jean-Marie Le Pen, patriarche déclinant de l’extrême droite française. Apparaît au travers de ce monstre vieillissant l’image d’une génération qui a baigné dans l’idéologie maurassienne, la littérature nationaliste et collaborationniste, et la praxis des combats de la décolonisation. La nouvelle génération que doit représenter Marine Le Pen – la fille de son père – n’a pas ce vécu et se projette dans un avenir médiatico-politique dans lequel la novlangue gomme les aspérités d’un discours raciste et brouille les cartes chez les électeurs. Or la seule parole ne suffit pas à comprendre les enjeux des transformations à l’intérieur du Front national.

Dans les faits, nous voyons l’émergence de jeunes militants extrêmement avertis, à la culture politique bien établie, et dont les pratiques sur le terrain parviennent à normaliser la présence brune dans le paysage quotidien, en plus de forger une sociabilité auprès des jeunes au désir d’action fortement prononcé. Les campagnes d’affichage, les partis de baby-foot dans l’arrière-salle d’une permanence, les apéros saucisson-pinard deviennent le prolongement des bagarres entre supporters lors des matchs de football. Les militants de l’extrême-droite ne sont ni tous jeunes, ni tous vieux, ni tous issus des classes populaires ni tous issus des beaux quartiers. Leur diversité sociologique se combine avec la pluralité de leurs modes d’agir et de leurs discours justificatifs. Derrière les lignes du Front montre bien la logique faussement régionaliste du Bloc Identitaire, l’avancée implacable de la stratégie des Bompard à la tête de la municipalité d’Orange, les élucubrations mi-nihilistes mi-réactionnaires d’un Gilbert Collard, ou encore l’idiotie nullement libertaire de Robert Ménard.

Le terreau sur lequel croît le fascisme ne demande pas beaucoup d’adjuvants. Les principes démocratiques sont assez fragiles par eux-mêmes pour permettre à de telles idées de trouver de l’écho. J.-B. Malet explore tout au long de son livre les différents lits de la tache brune. Il y a bien entendu la corruption, si présente à Hénin-Beaumont, et qui avait déjà fait ses preuves à Toulon. Il y a aussi le chômage. Ces deux mamelles de l’extrême droite ne seraient tout de même pas si prolifiques si elles ne bénéficiaient pas d’accointances avec des partis et des institutions régulières. Il en est ainsi lorsque l’auteur se penche sur l’influence de la nostalgie de l’Algérie française dans la vie politique française. On se rend compte que les partis dits républicains s’y complaisent, un peu par idéologie, un peu par manque de culture, beaucoup par opportunisme électoral. L’extrême droite, elle, ne cache pas que cet épisode - la décolonisation de l’Algérie et l’O.A.S - forme le ciment toujours solide de l’action nationaliste qui trouve aujourd’hui sa nouvelle formulation dans l’islamophobie. La lutte de l’Occident contre l’Islam trouve également le soutien de l’Armée. Pas seulement parmi les individus dans leur engagement individuel, mais grâce à l’institution-même qui offre supports médiatiques et lieux de réunion aux nostalgériques qui ne cachent pourtant pas leurs opinions politiques subversives.

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Fascination du fascisme

« Comprend qui peut » la réponse de l’ancien Secrétaire d’Etat. Comprend qui peut aussi comment les partis politiques dits démocratiques trouvent leur compte dans l’existence de la nébuleuse d’extrême droite.

Car ce qui ressort de ce livre de témoignages et d’enquêtes, c’est que l’extrême-droite française passe un cap. Le patriarche laisse la place à sa fille, ce qui n’est pas sans occasionner quelques grincements de dents parmi la famille brune ; les catholiques intégristes contre les laïcards, les antisémistes contre les partisans d’un rapprochement avec Israël basé sur la peur de l’Islam, etc. Le jour venu, le jour de l’élection, leur vote se portera tant bien que mal sur Marine. Mais ce n’est pas ce cap-là qui interroge le plus. Le trouble s’installe lorsqu’on lit les déclarations des élus UMP de la Région PACA. De Menton à Aix-en-Provence, en passant par La Garde et Ollioules, nombre d’entre eux ne cachent pas leur proximité idéologique avec le Front National et évoquent sans rougir un vote en faveur des candidats frontistes. Et lorsque résonnent à nos oreilles les discours des membres de l’actuel gouvernement, une coalition droite-extrême-droite pour les prochaines élections locales, sur le modèle corrompu et fascisant italien, pointe à l’horizon.

Derrière les lignes du Front ne propose pas d’alternatives. Ce n’est pas son objet. Le lecteur est même surpris de découvrir une interview de Jean-Luc Mélenchon. Si le leader du Front de gauche est souvent taxé d’user d’arguments populistes proches de ceux du FN, il apparaît ici combattif, progressiste et très loin donc de la « vague bleu marine ». Mais pourquoi lui ? Ou pourquoi seulement lui en tant que dirigeant d’envergure nationale ? Peu de dirigeants nationaux du camp opposé au FN sont longuement interviewées dans ce livre. Un militant PS de Nice, des militants anti-Bompard à Bollène livrent des témoignages très intéressants, le premier sur la sociologie et la stratégie des militants du Bloc Identitaire, les seconds sur l’épreuve de force qu’ils endurent de la part des époux Bompard. Le maire d’Hénin-Beaumont et surtout celui de Loos-en-Gohelle donnent leur manière d’agir face à l’implantation du Front national dans cette région ouvrière.

Certes, J.-B. Malet fait preuve d’une solide culture politique, en particulier sur les racines intellectuelles de l’extrême-droite française et même européenne. Cela permet de ne pas laisser le lecteur livré à lui-même lorsque les dirigeants fascistes étalent leurs points de vue, souvent avec bonhomie. Le côtoiement des élus FN est décrit assez froidement, la retranscription des cris haineux des islamophobes ou des nostalgériques apparaissent réellement navrants, et les compromissions du PS et de l’UMP font l’objet de remarques ironiques.

Pourtant, on se demande si J.-B. Malet n’est pas comme fasciné par son objet d’étude. Son immersion auprès des identitaires niçois, des maréchalistes en goguette ou des militants FN d’Hénin-Beaumont montre une faculté, chez l’auteur, de compréhension des comportements de ces hommes et de ces femmes. Transparaît l’authenticité de ces gens ordinaires. L’auteur éprouve même de l’empathie pour une militante mentonnaise qui distribue des tracts FN sans que les dirigeants locaux de son parti ne lui adressent la moindre attention.

C’est peut-être cette proximité entre l’auteur et son sujet qui fait que ce livre ne sera pas classé parmi la trop longue liste des ouvrages moralisateurs.

 

Jean-Baptiste MALET, Derrière les lignes du Front National. Immersions et reportages en terre d’extrême droite, Villeurbanne, Editions Golias, 2011, 270 pages, 15 euros.

 

L'Humanité, 10 janvier 2012. Entretien avec JB Malet :

 

"Le Front National n'est fort que des faiblesses de la gauche"

 

Dans Derrière les lignes du Front (Éditions Golias), le journaliste Jean-Baptiste Malet met en perspective plusieurs mois d’enquête au cœur de la nébuleuse FN. Un travail 
de terrain minutieux qui éclaire 
les zones d’ombre 
de la trop médiatique Marine Le Pen. Entretien.

Marine Le Pen peut-elle camoufler son appartenance réelle à l’extrême droite en la « drapant de concepts développés par la gauche » ?

Jean-Baptiste Malet. Quand elle emprunte des thèmes à la gauche, il s’agit d’une imposture. J’ai interrogé Marine Le Pen au sujet des Fralib en lutte (usine de thé et d’infusion des Bouches-du-Rhône – NDLR). Le FN colle sur les affiches de la CGT Fralib, et lorsqu’une aide de 28 000 euros a été votée par la région Paca, un seul groupe a voté contre, le Front national. Et Marine Le Pen n’est pas capable de dire pourquoi. Le ton ouvriériste de ce parti est une chimère : il n’y a aucun ouvrier dans son encadrement. Ce n’est pas seulement un parti raciste d’un point de vue racial, c’est un parti raciste d’un point de vue social. Il y a clairement une volonté de défendre un ordre naturel, où les pauvres sont à leur place quand ils sont en bas de l’échelle.

 

Pourquoi dites-vous que le FN 
n’est « pas fasciste au sens traditionnel du terme » ?

Jean-Baptiste Malet. Le fascisme était seulement une des formes incarnées par l’extrême droite. Marine Le Pen est « hédoniste et sécuritaire ». La grande différence entre elle et son père, c’est qu’elle n’est pas là pour interdire aux gens de jouir. Marine Le Pen promet à tous ceux qui sont floués par la crise qu’ils vont pouvoir continuer à remplir leurs chariots, à consommer, à garder le peu qu’ils ont peur de perdre. Elle s’adresse à ceux qui ont peur du déclassement.

 

Votre livre privilégie le reportage, mais s’intéresse également à la stratégie de Marine Le Pen, qui « consiste à camoufler l’héritage culturel 
et idéologique étatiste de l’extrême droite »…

Jean-Baptiste Malet. L’extrême droite a toujours prôné un État fort, a toujours été productiviste, et le FN le redevient. On dit de Marine Le Pen qu’elle incarne le renouveau, mais en fait c’est Jean-Marie Le Pen, dont on dit qu’il était reaganien, qui était une parenthèse de l’extrême droite française. Marine Le Pen revient aux fondamentaux de ce qu’était l’extrême droite du début du XXe siècle : celle des anti-Lumières, qui combat les droits de l’homme.

 

Pourtant, le FN cherche à se débarrasser du vocable « extrême droite » pour « droite nationale » 
ou « droite populiste européenne »…

Jean-Baptiste Malet. George Orwell a montré que le combat politique est avant tout sémantique. Ils sont sur ce champ de bataille, qui a pour enjeu l’hégémonie culturelle. 
Les cadres d’extrême droite aussi ont lu Gramsci : ils savent que pour gagner les élections, il faut une hégémonie culturelle.

 

Ce qui nous amène à la critique 
des médias. Car la dédiabolisation 
tient aussi à la candeur, voire 
à la complicité médiatique…

Jean-Baptiste Malet. Je ne suis pas hostile au fait qu’on interroge le FN, qu’on débatte avec lui. Moi-même je l’ai fait, mais pas n’importe comment, je ne me suis pas contenté de tendre le micro. En revanche, je supporte mal les gens qui me félicitent en me disant : « C’est super-dangereux, l’infiltration ! » Je n’ai jamais vu personne féliciter un grutier en lui disant : « Bravo d’être monté si haut, c’est dangereux. » J’ai juste fait mon métier. Que les confrères fassent le leur : quand Marine Le Pen parle de laïcité, on décrète qu’elle est laïque, même si elle a fait baptiser ses enfants à Saint-Nicolas du Chardonnet et qu’elle est toujours entourée d’intégristes catholiques. Les médias devraient être les défenses immunitaires de la démocratie, or ce sont les médias de masse qui propagent le virus. Ils sont obnubilés par la « nouveauté » et ne veulent pas voir que rien n’a changé, parce qu’inviter Marine Le Pen, c’est faire un carton d’audience. Mais si l’on gratte un peu, le vernis s’écaille.

 

Par exemple ?

Jean-Baptiste Malet. Il suffit de demander à Louis Aliot ce qu’il pense 
de l’OAS. Pour lui, ce sont des héros, et la torture peut être légitime. Dans 
les rassemblements de « nostalgériques » ou de pétainistes, qui ne sont pas que des illuminés, certains militent aussi au FN.

 

Finalement, quelles idées de son discours prévalent ? Celles de gauche, perverties, ou celles de droite, déguisées ?

Jean-Baptiste Malet. La vérité, c’est que les idées, le FN n’en a rien à faire. En fouillant dans les archives, on s’aperçoit que Marine Le Pen conseillère régionale d’Île-de-France est pour les OGM, alors que Le Pen Marine conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais est contre. Avant la catastrophe de Fukushima, elle est pour le nucléaire, après, elle est contre. C’est incroyable : aucun parti ne prend des virages à 180 degrés sur des sujets aussi importants.

 

Est-ce de l’opportunisme, comme quand elle débarque à Hénin-Beaumont, pour s’implanter grâce au « tous pourris » ?

Jean-Baptiste Malet. Le FN n’est fort que des faiblesses de la gauche. Ce que 
j’ai vu à Lille m’a profondément choqué : une ville riche, avec des quartiers « nettoyés » des pauvres, des restaurants bio présentant les livres d’Alain Badiou en vitrine… Bref, on sent une certaine bourgeoisie consciente politiquement. Par contraste, à vingt minutes de TER, dans le bassin minier, le militantisme de gauche est mal en point. Il y a une déconnexion totale entre la gauche mondaine, pétitionnaire, de centre-ville, et le chaos social laissé à l’abandon et au FN.

 

Vous écrivez que ce n’est pas votre rôle de donner des recettes pour lutter contre le FN. Mais les politiques 
en donnent…

Jean-Baptiste Malet. Oui. J’ai rencontré Jean-Luc Mélenchon, qui m’explique comment il s’est préparé à un face-à-face avec elle (sur BFMTV, le 14 février 2011 – NDLR), qui montre ce que pourrait être une gauche combative face au FN, et Jean-François Caron, maire écologiste de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais). Dans sa commune, il fait de l’éducation populaire, relégitime le rôle du politique, responsabilise ses concitoyens et ça marche : Loos-en-Gohelle fait partie des villes du bassin minier où le FN fait les scores les plus faibles.

 

Entretien réalisé par Grégory Marin



13/12/2011

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