Vigilance Isère Antifasciste

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Hongrie : la montée d'un nouveau fascisme

-  Reportage TV5 Monde, septembre 2009, 12 minutes  : Dans les rangs du Jobbik


- Le Monde, 6 avril 2011 :  Hongrie. La saison de la chasse aux roms n'est pas finie

 

-  Par Edwy Plenel, Médiapart , janvier 2012 : L'Europe, la Hongrie et le fascisme d'aujourd'hui: l'alarme de Paxton

 

- Libération, 18 janvier 2012: Hongrie : Orbán, premier supporteur des ultras

-  Beaucoup d'autres infos sur :  PRESS-EUROP, Dossier "La Hongrie à l'heure de Viktor Orban"

 

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L' EXPRESS, Dominique Lagarde, le 11/04/2010:

Plongée dans l'extrême droite de Hongrie

Les élections de ce dimanche devraient confirmer la montée d'une extrême droite qui recrute large, des couches populaires aux étudiants.

Gabor Vona, chef du parti Jobbik, tient un discours antisystème et antiélites.

Gabor Vona, chef du parti Jobbik, tient un discours antisystème et antiélite

 

Discrédités par les scandales et le clientélisme, contraints d'imposer une politique d'austérité après des années de laxisme budgétaire, les socialistes hongrois, au pouvoir depuis huit ans, seront sans nul doute les grands perdants des élections législatives des 11 et 25 avril. Mais, derrière la victoire annoncée de la droite conservatrice se profile un radicalisme qui réveille de vieuxdémons. "La Hongrie et la Bulgarie sont les deux pays européens dans lesquels la montée de l'extrême droite constitue un vrai risque", prévient le politologue Krisztian Szabados, directeur du think tank indépendant Political Capital. 

C'était l'an dernier, au printemps. Comme chaque soir, Sanö Koka s'apprêtait à prendre sa voiture pour rejoindre à Tiszavasvari - un gros bourg du nord-est de la Hongrie - l'usine où il travaillait la nuit. Il a été tué sur le coup, d'une balle tirée à bout portant. Sanö Koka était tsigane. En deux ans, en 2008 et 2009, huit autres personnes appartenant à cette communauté ont été assassinées dans la région. Au total, une soixantaine d'attaques racistes y ont été répertoriées : jets de cocktails Molotov, coups de feu, menaces de mort... En août dernier, la police a fini par arrêter quatre suspects. Ils fréquentaient un bar de Debrecen - une autre ville du département - connu pour être un fief de l'extrême droite locale. 

 

"Les banques et les médias sont dans les mains des juifs" 

Dans cette région durement frappée par la récession et le chômage, où les familles tsiganes n'ont souvent que l'aide sociale et la rapine pour survivre, la lutte contre la "criminalité rom" est devenue l'un des principaux chevaux de bataille du Jobbik. Et c'est ici, dans le Nord-Est où l'on votait traditionnellement à gauche, que ce parti d'extrême droite qui milite pour une "meilleure Hongrie" (Jobbik signifie "meilleur") devrait enregistrer son score le plus élevé. "La police ne fait pas son travail, la population a le sentiment d'être abandonnée par la classe politique traditionnelle. Le Jobbik, lui, propose des solutions", analyse Attila Rozgonyi, le maire indépendant de Tiszavasvari. 

Le parti de la droite radicale ne se contente pas de plaider pour la suppression des allocations familiales après le troisième enfant. Entre autres "solutions", il a créé, en août 2007, un "groupe d'autodéfense", la Garde hongroise. Censée "protéger les familles", celle-ci organise des patrouilles musclées dans les villages à forte population rom. Si elle n'est pas armée, elle a, pour le reste, tout le décorum des milices fascistes de l'entre-deux-guerres. Etroitement encadrée par une hiérarchie quasi militaire, elle défile au pas. Ses membres, tout de noir vêtus, portent sur leur brassard l'écusson rayé rouge et blanc de la dynastie d'Arpad, le prince qui conduisit au ixe siècle les tribus magyares dans le bassin des Carpates. Un blason qu'avait également adopté, en 1944, le parti nazi des Croix-Fléchées... 

 

Leader de minorités 

Dirigé par un jeune professeur d'histoire de 31 ans, Gabor Vona, le Jobbik a été fondé en 2003. Mais ce sont les émeutes de l'automne 2006, à Budapest, contre le gouvernement socialiste qui l'ont véritablement mis sur orbite. Il doit aussi beaucoup à la radicalisation du Fidesz (Union civique hongroise), le parti conservateur de l'ancien Premier ministre Viktor Orban. Après avoir perdu les élections législatives en 2002, ce dernier a durci son discours. Il s'est fait le champion des minorités hongroises qui vivent dans les Etats voisins depuis le démantèlement, en 1920, de la "Grande Hongrie" par le traité de Trianon. Il a joué la carte du populisme en créant les "cercles civiques", un mouvement visant à rassembler, au-delà du parti, le "peuple de droite". Mais certains de ces cercles se sont révélés plus radicaux que d'autres. Et c'est à la faveur de cette "démocratie participative" qu'émerge, autour de Gabor Vona, un petit groupe extrémiste, composé essentiellement d'étudiants. "Le Fidesz a légitimé le discours d'exclusion. Il a fait le lit du Jobbik", affirme Attila Ara-Kovacs, directeur d'un think tank et ancien porte-parole de l'Alliance des démocrates libéraux (SZDSZ). 

Le pays n'oublie pas la blessure du traité de Trianon 

Viktor Orban a pris soin, ces derniers mois, de recentrer son discours. Gabor Vona, lui, n'en finit pas de dénoncer les ennemis de la Hongrie : le bolchevisme, les multinationales, le grand capital, les politiciens corrompus, l'Union européenne et l'axe "Tel-Aviv-Washington-Bruxelles". Sans oublier la blessure du traité de Trianon. Le discours, antiélites et antisystème, traduit à la fois la déception des couches populaires vingt ans après la chute du régime communiste, la montée de l'euroscepticisme six ans après l'adhésion à l'Union européenne, et le rejet, par la jeunesse, d'une classe politique jugée cynique et corrompue. "Il y a toujours eu, en Hongrie, dans certains milieux intellectuels, un ultranationalisme fortement teinté d'antisémitisme, analyse Attila Fölz, professeur de sciences politiques à l'Université centrale européenne. Mais, à travers la montée du Jobbik, on voit émerger une nouvelle génération de politiciens qui ont réussi à faire le lien entre cette idéologie et les frustrations d'aujourd'hui. Les jeunes, y compris les étudiants, ont le sentiment qu'ils vivent dans une société bloquée, un peu comme en France, avant mai 1968. Le Jobbik les attire parce qu'il leur tient un discours antiestablishment et qu'il est le seul à le faire dans un pays où l'extrême gauche n'existe pas." 

La nostalgie de la Grande Hongrie est à l'origine d'une véritable sous-culture nationaliste imprégnée de ressentiments historiques. Associations de motards, supporters de certains clubs de foot, fans de "rock national" : la mouvance a ses réseaux, plus ou moins liés au parti de Gabor Vona. 

 

Refuge dans le passé 

A 49 ans, Imre Mészaros préside l'Association des Goj Motorosok, les "motards goys". Vêtu de cuir noir, il porte en pendentif la carte de la Grande Hongrie - la "Hongrie historique", corrige-t-il - et sur son blouson la "sainte couronne" des rois hongrois du Moyen Age. Imre Mészaros revendique sans peine son appartenance à la "droite radicale". Les Goj Motorosok organisent régulièrement des virées dans les territoires où vivent les minorités hongroises qui ont été séparées de la Hongrie par le traité de 1920, notamment dans la Transylvanie, aujourd'hui roumaine. Ils se lancent aussi parfois, à travers l'Europe, "sur les traces d'Attila", ce qui a permis à Mészaros de faire connaissance avec la France. Le chef des Huns, ancêtres supposés des Hongrois, est en effet l'un des héros préférés de la droite nationaliste. Pourquoi les "goys" ? Un "trait d'humour", à en croire le chef des Goj Motorosok... 

"Le refuge dans le passé traduit une crainte de la modernité", analyse la sociologue Borbala Kriza, spécialiste de cette sous-culture. La musique y joue un rôle particulièrement important depuis que la station d'extrême droite Radio Pannon a popularisé, il y a quelques années déjà, le "rock national". Ils sont chaque été plusieurs milliers à venir écouter leurs groupes préférés à l'occasion du Magyar Sziget, un Woodstock nationaliste organisé au bord du Danube, à quelques kilomètres de Budapest. Crâne rasé, bras entièrement recouverts de tatouages - les tribus magyares d'un côté, les rois médiévaux de l'autre - Baldzs Szinva, 31 ans, est le chanteur-compositeur du Romantikus Erözak ("Violence romantique"). Ses textes évoquent les conquêtes d'Attila, la saga du prince Arpad, le couronnement de saint Etienne en l'an 1000, la révolution de 1848 contre la domination autrichienne. "Nous, dit-il, nous jouons du rock, mais d'autres groupes utilisent le rap ou le hip-hop. Le plus important, ce sont les mots que l'on met dessus. Ils racontent l'histoire de la Hongrie, ses insurrections, ses révoltes désespérées contre les différentes occupations." 

La droite radicale réveille aussi les vieux préjugés antisémites de l'entre-deux-guerres. "Les banques et les médias sont dans les mains des juifs, ils exploitent tout le monde !" assène Joseph, un policier à la retraite bedonnant venu écouter et applaudir Gabor Vona. Le président du Jobbik est moins brutal, mais le fond de sauce est le même : les juifs, après avoir utilisé le communisme pour dominer la Hongrie, perpétuent aujourd'hui leur emprise grâce aux multinationales et aux banques de Manhattan... En février dernier, l'hebdomadaire Bar ! kad, proche du Jobbik, illustrait un article sur un procès fait par une association de juifs américains à la compagnie hongroise des chemins de fer - dont les wagons ont servi aux déportations - avec une caricature tout droit sortie des années 1930. Et sur Internet, le site d'extrême droite Kuruc.info a mis en ligne il y a quelques semaines une liste nominative de plusieurs centaines de juifs - professeurs, avocats, journalistes, personnalités du monde de l'économie - dont il dénonce l'influence. "Nous n'avons jamais eu de débat national sur l'histoire, déplore Krisztian Szabados, le politologue. Pendant la période communiste, nous avons vécu sous une chape de plomb. Puis seuls les extrémistes se sont emparés de ces sujets." Un point de vue partagé par Laszlo Karsai, professeur d'histoire et spécialiste de l'Holocauste.  

"Notre mémoire, explique-t-il, est à la fois fragmentée, et déformée. Les Hongrois considèrent qu'ils ont été les victimes innocentes de la Première Guerre mondiale et que rien de ce qui s'est passé ensuite n'était de leur faute. Le traité de Trianon explique et excuse tout." 

Tous les Hongrois, heureusement, ne partagent pas ce dolorisme nationaliste. Mais, en quelques années, la droite, extrême ou pas, a réussi à s'arroger le monopole de la nation. La jolie Dalma, 25 ans, avoue qu'elle hésite désormais à accrocher à sa boutonnière, pour la fête nationale du 15 mars, le traditionnel ruban aux couleurs de la Hongrie. "Ils en ont, dit-elle, détourné le sens." 



16/01/2012

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