Vigilance Isère Antifasciste

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LE MONDE |26.04.2012

Par Jean-Philippe Moinet, ancien président de l'Observatoire de l'extrémisme, fondateur de la "Revue civique"

L'UMP est la première victime de la stratégie imaginée par Patrick Buisson

images.jpgC'est l'histoire d'un aveuglement. Depuis les premiers mois du mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy, les mises en alerte n'ont pourtant pas manqué. En coulisse, dans les allées feutrées du palais de l'Elysée, comme sur la scène publique. A l'automne 2007, l'absence délibérée de clarification sur le concept d'identité nationale, devenu intitulé d'un ministère sous l'égide de Brice Hortefeux, commençait à sonner le glas d'une ligne politique qui, à force de jouer l'ambiguïté sur l'essentiel - les valeurs de la République -, a rapidement dévalué ses promoteurs, au premier chef Nicolas Sarkozy.

 

Depuis lors, et contre toute raison, la ligne attribuée à un conseiller de l'ombre devenu très influent, Patrick Buisson, n'a eu de cesse de s'imposer. Relevons que ce "sondologue", qui a emporté une série de décisions stratégiques, est directement venu des rangs de l'extrême droite lepéniste. Dans un épisode de vie resté très peu connu, ce conseiller a par exemple été défendu par Jean-Marie Le Pen lui-même, manu militari, avec l'aide de "gros bras" d'extrême droite, quand une contestation de "modérés" s'est levée contre lui alors qu'il dirigeait l'hebdomadaire d'extrême droite Minute. Cela crée des liens. Sans doute plus durables qu'on l'imagine. Quoi qu'il en soit, le même Patrick Buisson, vingt ans plus tard, a eu non seulement l'écoute régulière, quasi quotidienne dans la dernière période, du président de la République, mais l'approbation répétée de sa ligne, fondée sur l'idée que pour réduire l'extrême droite, il ne faut pas la combattre mais puiser dans son discours et son idéologie.

 

Ce même conseiller a même eu droit, au passage, à des remerciements sonnants et trébuchants : c'est lui qui, non seulement s'est vu octroyer la présidence de la chaîne de télévision "Histoire", mais aussi des budgets de l'Etat destinés à passer moult commandes aux instituts de sondage. Histoire - sans mauvais jeu de mots - d'avoir la haute main sur ce qui pouvait en sortir d'utile, politiquement, pour le président de la République, en tout cas selon les objectifs de l'ex-lepéniste. Un système qui a été dénoncé par la Cour des comptes et qui n'avait naturellement pas échappé à son président de l'époque, le regretté Philippe Séguin qui, lui, ne transigeait pas avec les thèses de l'extrême droite.

L'argumentaire officiel de Buisson, destiné en exclusif au chef de l'Etat, indiquait que sa méthode était bien sûr la seule à "assécher" l'électorat frontiste. Le conseilleur n'est pas le payeur : on peut voir le brillant résultat de cette ligne stratégique. Une ligne qui a veillé à briser des digues idéologiques, ce qui, naturellement, aura de redoutables et durables conséquences.

Le rapprochement entre immigration et insécurité, cocktail explosif qui est la marque de fabrique de toutes les extrêmes droites, est ainsi devenu en 2010 la parole officielle de la plus haute autorité de l'Etat : Nicolas Sarkozy s'engouffrait dans cette dangereuse brèche dans son discours de Grenoble, en juillet 2010, puis ordre était donné par le ministre de l'intérieur Brice Hortefeux de mettre spectaculairement en scène, sans le moindre scrupule, pour les journaux télévisés, le démantèlement des camps roms.

Au-delà de la gauche, quelques voix européennes se sont élevées, celles des Eglises aussi, celles (moins audibles, car exprimées avec tant de timidité) d'ex-premiers ministres et de l'actuel chef de gouvernement. Tout cela n'empêchera pas le déroulé qui fera suite. La ficelle populiste était grosse.

 

Les premiers moments de campagne du candidat Sarkozy, en début d'année 2012, ont même accentué la ligne infernale. L'une des premières propositions, se voulant " fracassante", avançait l'idée d'un référendum sur les chômeurs et, " pourquoi pas", sur l'immigration. Là encore, la ficelle populiste et d'extrême droite était grosse et n'a fait que gonfler de certitude ses promoteurs les plus radicaux. Marine Le Pen et ses partisans pouvaient fanfaronner et redoubler de démagogie. Leur thèse était validée : " Si un chef d'Etat est sur nos idées, c'est qu'elles sont tout à fait respectables !"

Quelque temps plus tard, sur le plateau de France Télévisions, et sans que cela ne fasse curieusement ni débat ni scandale, le candidat Sarkozy avançait la proposition d'une réduction massive de l'immigration légale et de la préférence nationale appliquée à certains droits sociaux. Ceci alors que toutes les études disponibles (voir Ras L'Front, ici) montrent que les étrangers contribuent autant que les Français (voire davantage, par exemple pour les retraites) aux comptes sociaux. Mais la ligne Buisson était encore à l'oeuvre, dans la précipitation, l'improvisation et peut-être l'affolement d'une campagne ultra-droitière, laissant l'actuel et d'anciens premiers ministres, spectateurs un peu effarés mais, de fait, réduits au silence d'une loyauté imposée.

 

Il était trop tard, sans doute. La brèche n'était plus entrouverte mais béante. En ce début 2012, rien ne pouvait être fait pour réhabiliter, d'une manière ou d'une autre, la notion de "cordon sanitaire" qui avait, jusqu'à présent, prévalu en séparant strictement la droite républicaine et l'extrême droite, qu'il s'agisse des alliances, des thèses ou des propositions. Aujourd'hui, la ligne Buisson n'a d'autre résultat - certains considèrent, y compris à droite et au centre, qu'elle a été conçue par l'intéressé pour cela - que de rapprocher, quitte à les réduire, à la fois les électorats (de l'UMP et du FN) et les projets. Une ligne qui devrait non seulement provoquer une rude défaite personnelle pour le président sortant le 6 mai, mais une explosion du parti jusqu'alors majoritaire.

Au final, les convictions républicaines d'ex-RPR et d'ex-UDF, fondateurs de l'UMP en 2002 dans le contexte de confrontation à Jean-Marie Le Pen, passent par "pertes et profits" d'une ligne Buisson qui a été suivie et assumée par le candidat Sarkozy : une ligne "droit dans le mur", pour reprendre l'expression d'un ancien ministre de droite qui préfère rester dans l'anonymat.

 

Une ligne qui laissera aux historiens une belle étude de cas de l'aveuglement politique. A chasser sur les terres de l'extrême droite, le candidat a même fini par ne plus même voir que le socle de convictions de sa famille était en jeu. Cette ligne va sans doute finir non seulement par lui faire perdre les élections mais par lui faire perdre son âme. Et le temps sera long, ensuite, pour reconstruire un discours de cohérence et d'intransigeance face à la menace revigorée de l'extrême droite française, devenue le temps d'un mandat la plus importante d'Europe.


Patrick Buisson, spécialiste des études d'opinions, est conseiller de Nicolas Sarkozy. Ancien directeur de "Minute".



27/04/2012

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