Vigilance Isère Antifasciste

Vigilance Isère Antifasciste

Boucs émissaires du néolibéralisme, extrême-droitisation... 8èmes Rencontres Luttes et Résistances, 17 janvier 2015 à Voiron, par RLF Isère

 

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Extrait de l'entretien du mensuel REGARDS avec Eric Fassin, le 2 décembre 2014 :  Les "briseurs de tabous" sont les intellectuels organiques du néolibéralisme

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Roms et riverains. Une politique municipale de la race, Éric Fassin, Carine Fouteau, Serge Guichard, Aurélie Windels« Le Front national l’a démontré : le racisme n’a pas besoin du mot race, il peut très bien s’exprimer en termes de culture »

Quel rôle joue la notion de culture dans cette rhétorique des briseurs de tabous, et comment vient-elle alimenter la grande machine qui consiste à poser l’immigration comme problème ?

Depuis les années 1980, dire que « l’immigration est un problème » est le lieu commun politique par excellence ! Ce discours de droite a été repris par la gauche. Du coup, il n’apparaît plus désormais comme politique, il s’impose comme une évidence. En même temps, il s’applique indifféremment aux immigrés et à leurs enfants, voire à leurs petits-enfants : à tous, on demande de s’intégrer. Ainsi, la racialisation de la nation s’exprime en termes républicains. Autrement dit, le culturalisme s’habille d’universalisme. Car, le Front national l’a démontré, le racisme n’a pas besoin du mot race, il peut très bien s’exprimer en termes de culture et la culture, c’est ce qui définit à la fois « eux » et « nous » – et donc la frontière censée départager, non seulement les Français des étrangers, mais les "Franco-français" des "Français de papier"… Le tabou, ce serait donc, à en croire ces figures intellectuelles, l’identité nationale. C’est ce qui faisait dire à Finkielkraut, devenu Français à l’âge d’un an : « Je suis évidemment français mais je ne suis pas tout à fait français, bien que né en France, de la même manière qu’un Français qu’on n’ose plus dire “de souche”. » C’est la revanche des antidreyfusards : l’origine l’emporte sur le contrat. Mais il y a un renversement par rapport à l’affaire Dreyfus : aujourd’hui, à l’instar du Front national, cette rhétorique de la « souche » se veut républicaine.

L’usage de la notion de culture conduit-il automatiquement au passage de la gauche, voire de l’extrême gauche, vers la droite dure ?

Il est intéressant qu’on ne parle plus guère de culture de classe… Relisez pourtant La Distinction, de Pierre Bourdieu : en 1979, le sociologue ne s’intéresse qu’aux différences de classe, dont les goûts et les pratiques culturelles sont le révélateur. Pas un mot sur l’immigration. Mais aujourd’hui, la culture est réduite à l’origine. La culture républicaine ne connaît pas la classe, elle se veut nationale. Par exemple, quand le sociologue Hugues Lagrange parle du « déni des cultures », c’est bien d’immigration qu’il s’agit (lire "L’origine culturelle peut-elle expliquer la délinquance ?"). Les Guilluy ou Bouvet, en retour, parlent de l’insécurité culturelle des Français, dont on imagine bien qu’ils ne seraient pas issus de l’immigration – autrement dit, qu’ils seraient blancs. La culture, c’est donc bien un euphémisme pour invoquer la race ! (lire aussi "La gauche dans le piège de Guilluy").

 

« Les femmes sont des femmes, les Français sont des Français et les musulmans sont des musulmans : la tautologie est la figure préférée de cette rhétorique droitière »

Le sociologue Hugues Lagrange avait fait le lien entre immigration et délinquance et était passé au JT de France 2 au moment de la sortie de son premier livre. Le film de John-Paul Lepers (lire l’interview de Laurent Mucchielli) montre, à partir de comparaisons entre plusieurs villes, que l’hypothèse ne se vérifie pas.

J’avais moi-même écrit sur la légitimation, entre politiques, sociologues et journalistes, du rapprochement entre « immigration et délinquance » [1]. Mais c’est difficile à faire entendre – en particulier dans les médias. Aucun ne s’est intéressé à cette déconstruction sociologique. Je me réjouis que France 2 corrige le tir aujourd’hui, je regrette toutefois qu’il ait fallu quatre ans. Il est plus facile d’attirer l’attention en disant des énormités scandaleuses qu’en énonçant des vérités rassurantes. C’est précisément l’enjeu de "briser des tabous". Pourquoi Zemmour est-il invité partout ? Parce qu’il fera de l’audimat. Et pourquoi le public se presse-t-il pour l’écouter ou le regarder ? Parce qu’on attend le moment où il dira des choses choquantes…

Tout se passe comme s’il y avait d’un côté la science "militante" et de l’autre la "vraie" science… L’idée de parler du réel n’est-il pas devenu leur meilleur argument ?

C’était la force d’Hugues Lagrange : tableaux à l’appui, un sociologue prétendait fonder empiriquement le sens commun médiatique ! Mieux : qu’il soit de gauche semblait prouver que son livre était "objectif", et donc scientifiquement valide : ne contredisait-il pas les idées les mieux établies dans son camp ? Il n’aurait pas eu un tel succès s’il avait été de droite. Mais il y a peu d’universitaires dans la liste que vous proposez. Parmi ceux qui opposent la « réalité » aux intellectuels de gauche, accusés d’être des "bobos", beaucoup n’hésitent pourtant pas à se réclamer de la science. C’est ce qu’on a vu contre « la-théorie-du-genre » : en 2011, la Droite populaire confondait délibérément science et sens commun dans sa critique des manuels de SVT. D’où le slogan de la Manif pour tous en 2012 : « Pas d’ovules dans les testicules ! ». La "vraie science", à leurs yeux, c’est donc ce qui confirme le bon sens. Les femmes sont des femmes, les Français sont des Français et les musulmans sont des musulmans : la tautologie est la figure préférée de cette rhétorique droitière.

 

« La politique néolibérale attise la xénophobie populaire à laquelle elle prétend répondre »

Quelle est la responsabilité des politiques dans la montée de cette nouvelle xénophobie ?

Le racisme d’État prétend répondre à une demande de l’opinion. Ainsi, c’est au nom des « riverains » qu’on persécute les Roms. En réalité, la xénophobie d’en haut joue un rôle décisif : aux citoyens, elle offre l’identité culturelle pour compenser la désaffiliation néolibérale. La politique ne se contente pas de refléter le peuple, elle le représente, c’est-à-dire qu’elle en propose des visions concurrentes. Or aujourd’hui, le plus souvent, elle dénie ce rôle de représentation, comme si elle n’était que l’expression du peuple, son image fidèle : c’est ce que j’appelle « populisme » : rien à voir avec le peuple, et tout avec la politique. De ce point de vue, si la représentation politique n’est qu’un reflet de la réalité, on comprend qu’il ne peut y en avoir qu’une : pas d’alternative démocratique entre différentes versions. C’est pour fonder cette image unitaire du peuple que la politique a besoin des discours sur la culture. Ainsi, la politique néolibérale attise la xénophobie populaire à laquelle elle prétend répondre. En même temps, elle a besoin des discours sur l’identité nationale et l’insécurité culturelle pour valider sa conception du peuple. En dépit, ou à cause, de leur haine de la modernité, ces "briseurs de tabous" sont donc les intellectuels organiques du néolibéralisme.

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Blog de Philippe Corcuff sur Médiapart : Refonder la gauche par le bas face aux périls « postfascistes »

Par Philippe Corcuff

Sociologue, militant libertaire et altermondialiste (*)

 

 

Le microcosme dirigeant et militant de « la gauche de la gauche » bruisse de coups de menton de telle ou telle personnalité, d’idées supposées « géniales » de telles autres ou de nouveaux projets de combinaisons entre appareils et micro-appareils. Toutefois ces visions et ces mécanos d’en haut, paradoxalement accomplis au nom d’une « plus grande démocratie » par une prolifération de « leaders », n’ont-ils pas échoué au cours des vingt dernières années à reconstituer une gauche digne de ce nom, depuis au moins le manifeste « Refondations » initié par Charles Fiterman en avril 1991 ? D’autant plus que nous ne sommes plus dans une situation dynamique pour cette « gauche de la gauche », guère beaucoup plus en forme que le social-libéralisme patronal et sécuritaire de Hollande et Valls si rapidement démonétisé.

 

Au niveau idéologique, c’est un néoconservatisme xénophobe, sexiste, homophobe et nationaliste à deux têtes (Alain Soral pour l’antisémitisme et Éric Zemmour pour l’islamophobie) qui a le vent en poupe, en exhibant les apparences d’une rebellitude susceptible de faire main basse sur la critique sociale. Et, au niveau électoral, le « postfascisme » (1) porté par le FN de Marine Le Pen, qui s’est accaparé les discours anti-néolibéraux, a pris pas mal d’avance sur les alternatives à gauche.

 

Le brouillard idéologique et politique actuel a comme un arrière-goût nauséabond d’années 30 ! C’est pourquoi des discordances temporelles rendent notre chemin particulièrement difficile, car il s’agit de réagir dans l’urgence à la menace pressante de l’extrême droite, tout en refondant à moyen terme une gauche en ruine sur les plans de la pensée critique, des modes d’organisation, des pratiques politiques émancipatrices et du projet. Et il faudrait le faire en même temps, sans sacrifier le moyen terme à l’urgence ou l’urgence au moyen terme.

 

Dans ce contexte, pourquoi ne pas prendre pour une fois vraiment au sérieux, et pas seulement dans des rhétoriques usagées pour estrades électoralistes, les intelligences populaires et citoyennes ? Ne pourrait-on pas prioritairement mobiliser les forces militantes existantes pour stimuler l’expérimentation d’un autre chemin par le bas, à partir de la vie quotidienne, en mettant de côté les instrumentalisations partisanes et les hommes supposés « providentiels » ? Est-ce que la grandeur humaniste d’une politique d’émancipation, ce n’est justement pas de se nourrir de la pluralité des expériences ordinaires afin de bâtir un cadre général partagé alternatif, et cela dès le moment des résistances ? Plutôt que d’imposer (pour les « chefs ») ou d’attendre (pour « la base ») des slogans, des programmes et des stratégies venant d’en haut.

 

Un exemple de démarche possible ? Travailler localement à l’émergence de marches de la dignité et de la diversité du Peuple pour la justice sociale. Des marches susceptibles de converger sur le plan national et européen, avec des échos internationaux plus larges. Des expériences qui associeraient les aspirations individuelles à la dignité et le souci de justice sociale. Des initiatives centrées sur une question sociale élargie intégrant à la fois les inégalités (de ressources économiques, d’outils culturels, de pouvoirs, de possibilités de reconnaissance personnelle et collective, etc.) et les discriminations (sexistes, racistes, homophobes, etc.). Des marches qui afficheraient fièrement, dans un élan internationaliste, la diversité (culturelle, religieuse, de genre, etc.) du Peuple, contre l’homogénéité mortifère mise en avant par les néoconservateurs.

 

Après, on verrait sur pièces si tel ou tel parti a eu une utilité effective ou pas. Après, on pourrait mieux évaluer pragmatiquement si la forme parti elle-même - peut-être trop calée historiquement sur les logiques oligarchiques de l’État-nation - est finalement obsolète ou pas. Et, partant, s’il nous faut réinventer d’autres formes d’organisation politique. Chiche ?

 

Paru dans L’Humanité, lundi 1er septembre 2014

 

(*) Auteur de l’ouvrage Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, à paraître en octobre 2014 aux éditions Textuel.

 

(1) La notion de « postfascisme » est empruntée au géographe libertaire Philippe Pelletier (dans P. Pelletier et le groupe Nestor Makhno de la Fédération Anarchiste, Du fascisme au post-fascisme. Mythes et réalités de la menace fasciste. Éléments d’analyse, Paris, Éditions du Monde Libertaire, novembre 1997, 54 p.). Elle devrait permettre de mieux prendre en compte des analogies partielles (et donc à la fois des proximités et des différences) entre les extrêmes droites actuelles et les fascismes des années 30.

 

 

 

 



13/12/2014

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